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en sauront gré, car l’auteur du Contr’un n’est pas de ces écrivains que l’on se contente d’admirer ; il est, comme André Chénier et Vauvenargues, du nombre de ceux qui se font encore des amis dans la postérité.


— Dans un temps où la littérature historique est tristement féconde en productions d’une valeur douteuse, c’est pour la critique un devoir et un plaisir de signaler les ouvrages malheureusement trop rares où de sérieuses études et un remarquable talent d’écrivain sont consacrés à la peinture de quelque grande époque. Nous avons trouvé ce double mérite de l’érudition et du style dans l’Histoire de la conquéte de Naples par Charles d’Anjou[1] que publie en ce moment M. le comte Alexis de Saint-Priest. Il y a trois ans, M. de Saint-Priest racontait dans ce recueil l’histoire de la chute des jésuites au XVIIIe siècle avec des documens nouveaux et la plus piquante impartialité. Aujourd’hui, remontant le cours des temps, l’historien a choisi l’époque pleine d’intérêt où la lutte de la papauté et de l’empire, qui avait pris si long-temps l’Europe entière pour champ de bataille, se trouva transportée à l’extrémité méridionale de l’Italie, dans les belles et riches contrées dont se compose aujourd’hui le royaume de Naples. L’imagination du brillant écrivain a été frappée du caractère plus ardent et plus implacable que prit sur ce théâtre l’antagonisme du pontificat et du trône. Là, comme il le dit avec raison, la guerre devient un duel. On voit que le sujet est à la fois vaste et précis. C’est un des principaux aspects de l’histoire générale du moyen-âge mis artistement en lumière. L’historien a su donner à de grandes figures historiques un relief tout-à-fait saisissant. L’empereur Frédéric II de Souabe est peint à larges traits, et le parallèle qu’établit l’historien entre l’incrédule César du moyen-âge, et un autre Frédéric, celui du dernier siècle, le disciple de Voltaire, fera dresser plus d’une oreille en Allemagne. Le bâtard de Frédéric III, Mainfroy, prince de Tarente, a terminé par une mort héroïque, à la bataille de Bénévent, une vie pleine d’aventures qui, sous la plume de M. de Saint-Priest, puisant aux chroniques contemporaines, est un drame non moins émouvant qu’authentique. Le héros du livre, Charles d’Anjou, domine tous les autres personnages. C’est pour la première fois que ce prince, toujours éclipsé dans l’histoire par la glorieuse sainteté de son frère, paraît sur le premier plan de la scène avec ses qualités et ses emportemens, à la fois héroïque et implacable, champion fanatique et altier de l’église, et, plus réellement peut-être encore que Louis IX, le type royal du génie du moyen-âge. L’histoire de M. de Saint-Priest, habilement distribuée en douze livres, et qui se termine par une description pittoresque de la Sicile, servant pour ainsi dire d’encadrement à la catastrophe des Vêpres siciliennes, ouvre des aperçus, pose des questions qui seront, dans la Revue, l’objet d’un examen attentif. Aujourd’hui nous avons voulu indiquer sur-le-champ aux amis des saines études historiques une production tout-à-fait attachante et distinguée, qui atteste la fécondité et les ressources du talent de l’historien des jésuites.




V. de Mars.
  1. 4 volumes in-8o. Chez Amyot, rue de la Paix.