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sur les flancs de l’armée, un tirailleur agile, un enfant perdu remarquable par sa témérité. Ses poèmes nous apprennent qu’il voyagea quelque temps sur le continent. Au retour, il devint l’editor, le rédacteur en chef du Colburn’s Magazine, position à peu près régulière, qui lui assurait trois cents livres sterling par an, sans compter le produit de son travail personnel. Il ne garda que peu d’années la direction de ce recueil, se brouilla sans retour avec le riche libraire qui en était le soutien, et, après leur séparation, fonda une entreprise rivale que son nom rendit d’abord assez populaire. Vers les dernières années de sa vie, le Hood’s Magazine, assez mal administré sous le rapport financier, couvrait à peine les frais de publication, et donnait au poète plus de tracas que de profits. En somme, il acheva sinon dans la misère, au moins dans une grande gêne, une carrière qu’il avait dû rêver, au début, plus brillante et plus heureuse.

Quelques succès, bien tardifs, éclairèrent le soir de ce jour nuageux ; mais ceux qui le touchèrent le plus et qu’il regardait comme ses meilleures garanties d’avenir, il les dut à ces hymnes sociaux dont nous nous sommes attaché à expliquer le retentissement inattendu. Peu de temps avant sa mort, Hood, causant avec quelques amis, prit une plume, jeta sur un morceau de papier l’esquisse d’un cénotaphe, surmonté d’une statue couchée où l’on reconnaissait aisément son galbe et sa taille ; puis il inscrivit sur ce fragile monument cette légende lapidaire :

HE SANG

THE

SONG OF THE SHIRT !

Il a chanté la Chanson de la chemise ! Telle était, à son gré, la meilleure épitaphe dont on pût décorer son tombeau.

Depuis que Hood n’est plus, il s’est fait, en sa faveur, une réaction marquée. On a reconnu qu’après tout, nonobstant ses défauts choquans, nonobstant un déplorable abus de facultés singulièrement puissantes et diverses, c’était là un descendant direct et légitime de la véritable lignée poétique, un arrière-petit-fils de Shakespeare, désigné comme tel par d’infaillibles analogies. Plus d’une voix généreuse a protesté contre l’erreur vulgaire dont il avait été victime, contre cet aveuglement public qui ne lui avait pas permis d’acquérir toute sa valeur, de prendre tout son essor, et le gouvernement, averti qu’un poète venait de mourir pauvre, a inscrit sa veuve parmi les pensionnaires du peuple anglais.


E.-D. FORGUES.