Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/727

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récemment aux lecteurs de cette Revue. Le collége de Kilreen, ouvert à tous les vents, et dans lequel six pauvres petits malheureux, divisés en six classes, apprennent, sous un maître déguenillé, tout ce que Dominie Dan leur peut inculquer de connaissances élémentaires, ressemble trait pour trait à l’école de maître Épiphane Garandin. Ce sont les mêmes procédés sommaires renouvelés de M. Cinglant, le même régime de terreur ; chez le maître la même impassibilité farouche, chez les malheureux écoliers le même esprit de révolte tempéré par la crainte salutaire du knout et des soufflets. Et Dan (Daniel) ne les épargne point, comme le dit si bien le poète :

Severe by ride, and net by nature mild,
He never spoils the child and spares the rod,
But spoils the rod, and never spares the child.

Seulement il y a de plus, dans le croquis anglais, un double caractère de gaieté folle et de réflexion attristée. Par exemple, après avoir montré la terrible baguette du maître d’école arrivant, à travers les trous d’un vêtement en haillons, jusqu’à la peau nue du petit Phelim, le poète se hâte de clore, par un trait pathétique, cette description burlesque :


« Point de tendres parens qui prennent garde aux cris de Phelim. Hélas ! son tendre père est au loin, gisant peut-être au fond de quelque cellier souterrain, la tête entamée par le bâton ou par le gin…Peut-être aussi escalade-t-il, comme un chat, quelque toit de Londres, chantant un lai de la verte Érin. Ou bien encore, derrière un métier, brodant de ses rèves une trame fantastique, il croit revoir sa chaumière et son Phelim souriant… Au diable l’enragé marmot qui n’a pas cessé de beugler[1] ! »


Deux des poèmes de Hood, la Maison hantée et le Rêve d’Eugène Aram, ce dernier surtout, prouvent qu’il avait à sa disposition, même dans un sujet sérieux, ces ressources tragiques dont nous venons de constater l’emploi, -je dirais volontiers l’abus, -.dans les dernières strophes de Miss Kilmansegg. Une horreur vraie, un sentiment de pénible oppression, une fascination tout aussi puissante que celle d’Hoffmann (dans le Majorat, Maître Coppelius, le Roi Trabacchio), émanent de ces deux compositions. La première est, ni plus ni moins, la description d’une maison abandonnée après avoir été le théâtre d’un crime. Ce crime est ignoré ; le poète ne vous en dira ni les causes, ni les circonstances : à vous le soin de remplir, selon votre instinct, cette toile vide qu’il relègue dans un fond ténébreux. Il se charge, lui, de vous broyer les couleurs, et certes la palette qu’il vous livre est aussi variée, aussi riche que vous la puissiez souhaiter. Elle abonde en teintes

  1. Hood’s Wit and Humour, pag. 52.