rajeunit ce qui est vieux[1] ; » l’or, enfin, tant de fois insulté, maudit, exécré, blasphémé, l’or, cette fois, sera ridicule.
Et n’est-ce pas dans un berceau doré que tombe du sein maternel l’héritière des Kilmansegg ? Sa généalogie ne remonte-t-elle pas à l’âge d’or, à cette époque heureuse où les poules pondaient des veufs d’or, où les moutons se couvraient de toisons d’or, où des pommes d’or jaunissaient les vergers du vieil Hespérus ? Et n’est-elle pas écrite en lettres d’or sur un parchemin provenant, sans nul doute, du veau d’or ? Donc miss Kilmansegg vient au monde sous des rideaux de brocart ; des langes de toile d’or la reçoivent. Les premiers regards de l’enfant tombent sur un candélabre en or moulu ; sa première heure sonne à une pendule où Phébus, le dieu d’or, est représenté dans un char d’or, une lance d’or à la main, et chassant devant lui des étoiles d’or. Sa première panade lui est servie dans un plat d’or, avec une cuiller d’or. Son premier remède est un peu de cette eau-de-vie de Dantzick où des parcelles d’or nagent dans un alcool doré.
Vous voyez d’ici l’effet bizarre de cette accumulation fantastique. Le récit s’éclaire d’un métallique rayonnement qui donne à toutes les physionomies la même teinte jaune et fauve. On dirait une série de charges monnayées, autant de guinées portant, au lieu de l’effigie royale, celle de quelque banquier grimaçant, de quelque fabricant bossu, de quelque manufacturier louche ou camard. Entre autres se distingue la figure rayonnante de sir Jacob Kilmansegg, le plus insignifiant et le plus poli des millionnaires. Il est fier de sa fille, il étincelle comme un quadruple récemment frappé. Le jour du baptême, il nous apparaît saluant à droite et à gauche, distribuant des bienvenues, se souriant à lui-même, et tantôt faisant sonner ses poches cousues d’or, tantôt dominé par la joie et par l’espérance, se frottant les mains comme s’il les lavait dans une eau impalpable avec un savon chimérique.
…Then, in the fulness of joy and hope
Seem’d washing his hands with invisible soap
In imperceptible water.
De temps en temps, il est vrai, le poète sent le besoin d’un contraste, et il évoque alors, pour l’opposer à son héroïne, la pauvre enfant née dans un bouge infect, avec une litière pour berceau, et pour avenir la perspective ou de vendre des bouquets jusqu’à ce qu’elle prenne en horreur le parfum des roses, ou de cueillir des cressons au bord des fossés fangeux, ou de tresser la paille, ou de façonner le cuir, ou, le cœur
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… Will make black white ; foul, fair ;
Wrong, right ; base, noble ; old, young ; coward, valiant.
(Timon of Athens.)