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retenir mes larmes, car une larme voile le regard, et l’aiguille et le fil s’arrêtent alors !… »

Nous le répétons, ces excentricités, quelquefois sublimes, sont intraduisibles. L’idiome saxon a des couleurs violentes, des consonnances sifflantes et dures, des familiarités brutales que, depuis long-temps, notre langue polie, — trop polie, dit-on, — a répudiées et bannies. De là cette énergie lugubre, ces sanglots sourds du vers haletant, ces vulgaires détails abordés de front et sans biaiser : la chemise, le lit, l’aiguille, les boutons, l’ourlet, devenus tragiques, et le droit de dire, sans compromettre l’émotion déjà née : « Hommes aveugles ! ce n’est pas du linge, c’est notre vie, la vie de créatures humaines, que vous usez jour et nuit ! »

It is not linen you’re wearing out
But human creatures’ lives !

L’étonnant succès obtenu par cet anathème du pauvre contre le riche inspira à Hood trois autres morceaux du même genre, le Rêve de la noble dame, l’Horloge de la maison de travail et le Lai du laboureur. Il y a çà et là, dans ces trois compositions, des traits poignans, des images saisissantes ; mais quoi ! les plus grands génies ont éprouvé ce désappointement, de faire vibrer deux fois la même corde et de n’en tirer, au second essai, — même alors qu’ils la touchaient d’un doigt plus assuré, plus nerveux, — que des sons affaiblis, une répétition monotone. Effet cherché, prévu, presque toujours effet nul. D’un côté, l’écrivain qui insiste, et dont l’effort même trahit la volonté ; de l’autre, un lecteur qui n’est plus pris au dépourvu, et qui, transporté dans des régions connues, n’y trouve plus qu’un prestige à demi détruit. Puis, il faut le dire, il y a toujours, dans le talent de Hood, un défaut de mesure et de goût, un continuel appétit d’antithèses imprévues, qui l’emportent au-delà du but. Certes, c’était un tableau bien conçu, que d’amener devant la maison de travail, à l’heure où le surveillant monte l’horloge, les milliers de malheureux à qui cette horloge mesure le temps, le temps qui leur mesure à son tour un labeur pénible et mal payé. Ils arrivent de tous les points de la cité, le robuste avec l’infirme, les jeunes avec les vieux, hommes et femmes pêle-mêle, tous ces galériens de la civilisation vomis par les greniers démeublés, les froids souterrains, les sombres allées ; ils arrivent, déformés, amaigris, courbés, pâlis, tordus, brisés par le travail, le front noirci, les mains calleuses et souillées, chacun portant les stigmates de son supplice ; ils arrivent comme un torrent immonde, à chaque pas grossi d’affluens noirâtres,

Gushing, rushing, crushing along,
A very torrent of Man ;