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au point de vue de notre dignité nationale, parce qu’il nous a représentés aux yeux de l’Europe comme un peuple avili, énervé, n’ayant d’autre culte que celui de l’or et du plaisir, d’autre activité que celle du mal ; — désastreuse au point de vue de la dignité des lettres, parce que le roman-feuilleton n’a voulu la plupart du temps qu’une seule chose, battre monnaie et réaliser de gros bénéfices. Ces bénéfices, il les a réalisés en effet, en constituant au profit de quelques hommes un monopole exorbitant. Nous avons vu des écrivains passer avec plusieurs journaux à la fois des marchés à forfait, et, sous peine de dédit (un de ces dédits, on s’en souvient, s’élevait à 300,000 francs), s’engager à fournir jour par jour à chacun de ces journaux, ou à l’un d’eux exclusivement, six, huit ou dix colonnes de feuilletons ; nous les avons vus fixer à l’avance, pour des sujets qu’ils ne connaissaient quelquefois pas eux-mêmes, non-seulement le nombre des volumes, des feuilletons, mais même le nombre des lignes. Nous les avons vus, renonçant au droit de penser et d’écrire pour d’autres que pour leurs contractans, s’interdire la faculté de défendre même leurs opinions politiques, et stipuler comme un privilège le droit de donner au maximum une demi-douzaine d’articles dans d’autres journaux quotidiens.

Est-ce à de pareilles conditions qu’on peut espérer de produire quelque chose de durable ? Non certes, car l’inspiration ne passe de marchés avec personne, et, lors même qu’elle fait défaut, le libraire ou les administrateurs du journal viennent, le dédit à la main, réclamer le volume ou le feuilleton. Ils ont droit de se montrer exigeans, car ils paient cher. Ils ont payé le Juif errant 10,000 francs le volume en feuilletons et l’ouvrage complet en volumes 60,000. Ils l’ont acheté avant qu’il fût fait, comme les accapareurs de céréales achètent les récoltes avant que les terres soient ensemencées. En habile spéculateur qu’il est, le roman, non content d’être vendu en feuilletons, puis en volumes, se réserve la faculté de se vendre en bonnes feuilles à l’étranger, au profit des auteurs et au détriment des libraires, qui se trouvent ainsi à la merci de la contrefaçon. Ce n’est point tout encore : le roman, lorsqu’il est métamorphosé en drame et transporté sur la scène, vient réclamer sa part dans les droits d’auteur, et de la sorte il réalise quatre bénéfices successifs et distincts. Faut-il s’étonner, lorsqu’il se préoccupe à ce point de ses intérêts, qu’il oublie les règles de l’art ? Mais l’art se venge à son tour. La période mercantile marque pour chaque écrivain qui l’affronte le point d’arrêt et souvent la décadence du talent, et, par une bizarrerie singulière, c’est presque toujours au début qu’il faut chercher aujourd’hui les œuvres les plus remarquables.

La librairie, qui a provoqué ces spéculations, en a aussi porté la peine. Un procès récent nous a appris que certain roman payé 48,000 francs s’est vendu à huit cents exemplaires seulement [pour le premier volume, que la vente du second n’a rapporté que 700 francs, et que pour chaque volume suivant la vente a toujours diminué. Les romans de l’auteur d’Indiana, qui, de 1830 à 1838 environ, se vendaient à deux mille exemplaires, ne se vendent guère aujourd’hui qu’à six cents. Pourquoi ? parce que la fièvre de la production finit tôt ou tard par épuiser le talent, parce que l’industrialisme, qui multiplie les volumes, appauvrit en même temps la pensée. Le roman exploité en feuilletons par les cabinets de lecture est déjà„ connu du public lorsqu’il paraît en volumes, et dans ces volumes, dont le prix a toujours augmenté au fur et à mesure que la vente