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les catholiques, on a expurgé les musulmans et les excommuniés. M. l’abbé Pinard, qui parait avoir pris la spécialité des exorcismes littéraires, s’est chargé des Mille et une Nuits, et il a converti la sultane Dinarzade en sous-maîtresse de pensionnat féminin. Tartufe lui-même, Tartufe revu, corrigé, et presque honnête homme, a été, par une hypocrisie nouvelle, réconcilié avec l’église.

A les considérer seulement sous le rapport littéraire, les romans d’éducation qui se font aujourd’hui l’emportent, et de beaucoup, sur ceux qui les ont précédés. On a remplacé par des sujets tirés de la réalité les absurdes histoires de géans, d’ogres et de fées. C’est un progrès, car il est dangereux d’allaiter les enfans avec des mensonges ; mais peut-être a-t-on trop sacrifié l’instruction solide au simple amusement. On parle aux enfans comme s’ils ne devaient jamais devenir des hommes : on ne cherche pas à les rendre forts, à les prémunir de bonne heure contre les impostures de la vie. La plupart des livres écrits par les femmes nous paraissent, sous ce rapport, vraiment déplorables, et c’est avec raison que, dans le compte-rendu du concours de 1839, M. Villemain, en séance solennelle de l’Académie française, disait aux hommes qui songent à l’avenir des jeunes générations : « Faites des livres pour les lecteurs nouveaux qui se préparent chaque jour, des livres qui inspirent à l’enfant, à l’adolescent, le goût du travail, qui le rendent plus habile dans son état, qui développent le bon sens et fassent servir le bon sens de chacun au bonheur de soi-même et des autres. » Pour encourager à ce genre de composition, le secrétaire perpétuel de l’Académie citait l’exemple de lord Brougham et de M. Martinez de la Rosa[1].

En 1836, comme nouvel appendice du roman, du keepsake et des livres roses, on voit paraître la physiologie, vieux genre ressuscité du XVIe siècle, qui nous avait donné, entre autres facéties de la même espèce, Physiologia crepitûs ventris. Digne héritière des traditions effrontées de ses aînées, la physiologie moderne, qui eut un instant la prétention de remplacer le roman de mœurs, n’a reculé devant aucun scandale, et elle s’est arrêtée de préférence, comme le roman et le drame, aux types compromis ou dégradés. Ce qu’il y a de plus triste encore, c’est que, malgré le cynisme de ses allures, elle affiche des prétentions au rôle de réformatrice. Tout en proclamant qu’elle tient pour sage, honnête et pure l’ouvrière qui n’a qu’un amant à la fois et qui ne vole pas, elle réclame l’organisation intégrale du travail…, problème qui se présente aujourd’hui partout, dit-elle, qu’on rencontre même en rêvant dans un bosquet du jardin Mabille, et, toute préoccupée qu’elle est de cette question, elle demande « des conseils à Charles Fourier qui l’a complètement résolue. » Ce triste genre, du

  1. Ce que ne disait pas M. Villemain, ce qu’il ne pouvait pas dire à l’Institut, c’est qu’un grand nombre d’ouvrages d’éducation sont uniquement entrepris sur des commandes faites par les libraires, sans autre pensée de la part des auteurs que le bénéfice matériel du travail, quelquefois aussi pour en faire une affiche de pensionnat ou un marche-pied dans la carrière de l’instruction, un livre bon ou mauvais étant toujours, et bientôt à tort, considéré comme un titre à l’avancement. Dans ce même concours, l’Académie décernait un prix Montyon à un ouvrage dont la morale devait être d’autant plus pénétrante et plus pure, qu’elle s’adressait à des durs déjà corrompus, aux enfans qui ont subi la triste épreuve des maisons de correction, et quatre ans plus tard l’auteur de cet ouvrage, couronné comme moraliste des prisons, figurait dans un procès dont les détails avaient fait scandale dans les prisons même.