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Après les avoir décrits, on les a défendus contre la société ; ainsi, tandis que les philanthropes et les économistes s’occupaient de la réforme des prisons, les romanciers réhabilitaient ceux qui les peuplent. Les uns s’efforçaient d’édifier, les autres s’acharnaient à démolir. Nous n’insisterons pas plus long-temps sur cette triste phase de notre littérature ; les protestations qui se sont élevées de toutes parts contre ces débauches de l’esprit en ont déjà fait justice.

Tout en cherchant à réveiller les appétits blasés du public par les scandales ou les sanglantes péripéties de la mise en scène, on l’affriande par le scandale du titre. Au temps de Crébillon fils, le Sopha était déjà une hardiesse ; aujourd’hui, avec l’Alcôve, Virginité, Ce que vierge ne doit lire, nous avons une Pécheresse, une Séduction, un Flagrant délit, une Grossesse. Les accouchemens ont été réservés pour le drame. Les titres en effet sont chose capitale dans le roman. Les uns, les titres piquans, ont pour but d’amorcer le lecteur ; les autres, les titres mystérieux, ont pour but de l’intriguer en lui présentant une énigme. Souvent il arrive qu’on fait le titre après avoir fait le livre, car l’habitude où sont les écrivains d’improviser leurs volumes page par page, sans avoir aucun plan, aucune idée générale, les met dans l’impossibilité de donner au début une étiquette à leur œuvre. C’est ainsi qu’un roman-feuilleton, dont les cinq ou six premiers chapitres portaient le titre d’Histoire fantastique, fut achevé sous celui d’Histoire contemporaine. Un autre feuilleton était intitulé Au jour le jour, ce qui convenait de tous points au genre de composition adopté par l’auteur. L’invention, la recherche des sujets inexplorés, qui constituent l’un des principaux mérites de l’écrivain, causent en général peu de souci à la plupart des romanciers. Comme il s’agit beaucoup moins d’agrandir les domaines de l’art que de trouver auprès de la foule un accès facile et prompt, on exploite de préférence jusqu’à entier épuisement les mines ouvertes par les heureux et les habiles, et, pour attirer l’attention du public, on se fait l’écho de toutes les voix qui l’ont charmé[1].

Autour du roman se sont groupés une foule de genres accessoires, nouvelles, contes, Contes démocratiques, Contes bleus, Contes bruns, Contes de toutes les couleurs, Contes vrais, Contes bizarres, Contes de bord, Contes drolatiques, Contes philosophiques, etc., histoires, tableaux de mœurs, œuvres individuelles ou collectives, keepsake, abeilles, sachets, etc., où les nouvelles et les contes ont été entrelacés de vers et illustrés d’arabesques et de vignettes. L’avènement de ce nouveau genre est marqué par le Livre des Cent et un, qui du moins a encore le mérite de contenir, au milieu de beaucoup de futilités, quelques articles sérieux.

  1. Les Mystères de Paris ont enfanté les Vrais Mystères de Paris, les Mystères de Londres, les Mystères de Rome, les Mystères de la Russie, les Mystères de la Province, les Mystères de Rouen, les Mystères de Nancy, les Mystères du Palais-Royal, les Mystères de l’Opéra, l’Opéra sans mystères et l’Almanach des Mystères de Paris, livret dans le genre du Guide des Omnibus, à l’usage des étrangers qui veulent s’initier aux secrets des tapis francs et des mauvais lieux. L’analogie des sujets a été exploitée comme l’identité des titres. Ainsi nous trouvons à côté d’un Cœur de femme, deux Cœurs de femme et une Femme pour deux cœurs ; à côté d’une Fille naturelle, la Fille de l’invalide, la Fille du vieillard, la Fille du libraire, la Fille du peaussier, la Fille d’un ouvrier, la Fille du pêcheur, la Fille du porteur d’eau, une Fille du Régent, la Fille de pauvre Jacques, la jolie Fille du faubourg, la jolie Fille des halles, enfin la Fille d’une fille.