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De simples protes ont renvoyé pour cause de corrections indispensables les bons à tirer d’épreuves latines donnés par des agrégés en renom. On a été forcé de recourir à un étranger pour écrire la préface latine de la nouvelle édition du Lexique de Forcellini. Les thèses de la Sorbonne, les notes latines et les titres même de quelques-uns de nos livres d’érudition sont remplis de fautes inexcusables. On répondra que notre époque a bien à faire autre chose que des thèmes. Sans doute, mais, si l’on apprend le latin pour ne pas le savoir, à quoi sert-il de l’étudier ?

En ce qui concerne la littérature étrangère, nous sommes en progrès et même en progrès notable. Dans le XVIIIe siècle, et il y a vingt-cinq ans à peine, nous aurions cru forfaire à la dignité nationale en admirant les chefs-d’œuvre des autres peuples ; nous appliquions aux productions de l’esprit le système prohibitif dans sa plus stricte rigueur. Aujourd’hui nous avons proclamé le libre échange, comprenant sagement, comme l’a dit un spirituel écrivain, qu’un peuple sans commerce intellectuel avec les autres peuples n’est qu’une maille rompue du grand filet. La section relative aux littératures étrangères se divise en deux parts distinctes, l’une érudite et historique comprenant les ouvrages des peuples orientaux, l’autre purement littéraire comprenant les ouvrages des peuples de l’Europe moderne. Déjà cultivée avec succès sous le règne de Louis XIV et cultivée pour la première fois en France, la littérature orientale, quoique concentrée entre un nombre d’hommes assez restreint, a pris de nos jours un grand essor. Sortis des presses de l’imprimerie royale, la plupart des ouvrages orientaux modernes ont été imprimés là pour la première fois, et souvent sur des manuscrits uniques, ce qui constitue un mérite tout-à-fait spécial, nos savans ayant accompli pour les textes de ces éditions princeps le même travail de critique et de philologie que les savans du XVIe siècle pour les éditions princeps des auteurs grecs. Ils ne se sont point bornés au rôle d’éditeurs, déjà si difficile en semblable matière. Ils nous ont révélé par la traduction la poésie chinoise, arabe, persane, géorgienne, hindoue. Religion, philosophie, sciences et arts, géographie, histoire, biographie, mœurs et usages, ils ont tout étudié dans les moindres détails Silvestre de Sacy, Abel Rémusat, se sont montrés de véritables encyclopédistes. M. Burnouf a retrouvé des idiomes, comme Cuvier avait retrouvé un monde, et M. Quatremère a dressé, pour l’histoire de l’Asie, l’art de vérifier les dates. Les travaux de ces hommes distingués ont donné à l’histoire collective du genre humain des développemens nouveaux, et ici, comme en bien d’autres points, l’érudition française, qui ne le cède en rien, quoi qu’on en ait dit, à l’érudition allemande, s’est montrée patiente, précise et inventive.

Tandis que les orientalistes parcouraient l’Asie sur toutes ses routes, d’autres touristes littéraires visitaient l’Europe pour nous initier à la vie morale des peuples que la civilisation chrétienne a fait nos frères. L’Espagne, qui dans la première moitié du XVIIe siècle exerça une si grande influence sur nos écrivains, en s’effaçant pour ainsi dire dans le siècle suivant de la carte politique de l’Europe, s’était effacée également de la carte intellectuelle ; mais la guerre de l’indépendance, les révolutions qui depuis trente ans agitent la Péninsule, l’ont rejetée dans le mouvement européen, et l’attention s’est tournée de nouveau sur sa littérature. Les drames épiques de son théâtre, qui ne nous étaient connus que par des imitations plus ou moins fidèles, sont arrivés par d’exactes traductions jusqu’aux