Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvaient obliger le jeune chef royaliste à se cacher si soigneusement. Avait-il été gagné par le découragement ? voulait-il échapper à la proscription ? la maladie le tenait-elle enchaîné ? Mon imagination se perdait en suppositions que ma raison détruisait aussitôt. Enfin, après une marche longue et difficile, nous aperçûmes un manoir en ruine enfoui dans les taillis. Coeur-de-Roi ralentit le pas, et me dit : — C’est là !

Je regardai avec surprise. Le toit était entr’ouvert, les volets pendaient à leurs gonds presque arrachés, la cour était tapissée d’herbes parasites, et une hirondelle avait bâti son nid au coin de la porte d’entrée. Je cherchais en vain, au milieu de ces témoignages de solitude et d’abandon, une trace d’habitation récente. Coeur-de-Roi, qui me devina, suivit quelques instans la clôture du jardin, franchit une brèche, et nous nous trouvâmes devant une façade intérieure que l’on ne pouvait voir du dehors. De ce côté, le délabrement était moins sensible ; mais rien encore n’annonçait la présence d’habitans. Mon compagnon me pria d’attendre, et se dirigea vers un petit bâtiment isolé, d’où il ressortit bientôt, suivi d’une vieille femme avec laquelle il entra au manoir. J’attendis long-temps sans le voir reparaître ; ce fut enfin la vieille femme qui revint et me fit signe de la suivre. Nous montâmes un escalier qui tremblait sous nos pas, et, après avoir traversé plusieurs chambres dont la nudité annonçait l’abandon, nous arrivâmes devant une porte à laquelle ma conductrice frappa avant d’ouvrir. J’entendis aussitôt un murmure de voix, un pas léger qui se précipitait, et, au moment où j’entrai, une petite porte, placée vis-à-vis de celle que je venais de franchir, se referma rapidement. Mon arrivée avait évidemment mis quelqu’un en fuite.

La pièce dans laquelle je me trouvais formait, du reste, avec celles que j’avais traversées un contraste dont je fus d’abord frappé. Elle était tapissée de haute lisse, meublée à la Louis XIV et garnie de portraits de famille remontant jusqu’aux croisades. Une pendule d’ébène incrusté ornait la muraille, et la vaste cheminée en marbre rouge était surchargée de porcelaines de Saxe.

J’étais resté sur le seuil, involontairement arrêté par cet aspect inattendu ; M. Jacques s’avança à ma rencontre. Il portait son pittoresque costume de velours que serrait à la taille une écharpe de soie blanche. Ses traits étaient beaux, mais altérés par une pâleur fébrile. Il me souhaita la bienvenue avec un peu d’effort, et m’invita de la main à m’asseoir.

Tout ce qui m’arrivait était si nouveau, que j’avais besoin de quelques instans pour me reconnaître. Je gardai d’abord le silence ; ce n’était ni embarras ni crainte, mais la lenteur involontaire d’une curiosité qui se satisfait. J’assistais, pour ainsi dire, en spectateur à ma propre situation, et je m’y oubliais. M. Jacques m’arracha à cette méditation