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tous ces hommes pour la première fois, mais leur conversation me les eut bientôt fait connaître. A la droite du foyer était Mousqueton, accroupi sur ses jambes torses et tenant par les ailes un roitelet vivant qu’il présentait et retirait alternativement à un chat fauve. Son œil hagard suivait tous les efforts du tigre domestique pour saisir sa proie, et à chaque palpitation, à chaque cri de l’oiseau, un éclat de rire crispait sa face livide. Saint-Martin, assis devant lui, regardait d’un air distrait ; rien, dans sa figure vulgaire, n’annonçait alors l’audacieux meurtrier qui devait entrer, en plein midi, au bourg fortifié de Morannes, présenter au commissaire du pouvoir exécutif Millières un billet renfermant ces seuls mots : Donne ton ange à Dieu, tu vas mourir, et le frapper de trois coups de poignard avant qu’il eût achevé de les lire. A ses côtés se tenait Moustache, dont la silhouette énergique se détachait sur la muraille éclairée ; puis le Grand-Chasseur, doux et héroïque visage que couronnait une chevelure argentée avant le temps. Derrière eux, Moulins se balançait sur ses hautes jambes nerveuses en jetant à travers l’entretien quelques plaisanteries obscènes, tandis que le Murat de la chouannerie, Francceur, orné de plumets, d’oripeaux et de rubans, causait avec la France, jeune garçon arrêté quelques jours auparavant à Laval sous un déguisement de paysanne, et qui avait réussi à s’échapper de prison.

Tous parlaient de la blessure de Jambe-d’Argent et de la disparition de M. Jacques, qui les laissaient sans direction. La France assurait que ce dernier avait été fait prisonnier par les bleus et exécuté à Mortagne ; Saint-Martin racontait qu’il s’était rendu près de M. de Scépeaux, en Anjou, où il avait péri dans un engagement. Enfin Moustache affirmait qu’il était mort de maladie dans un château du haut-Maine et qu’on lui avait montré sa fosse. Bien que contradictoires dans les détails, toutes ces versions s’accordaient sur ce point, que M. Jacques n’existait plus et que la chouannerie du Maine allait se trouver sans chef.

— Eh bien ! après, dit Moulins, à qui les lamentations de ses compagnons avaient fait hausser les épaules, ne dirait-on pas qu’elle doit en mourir ? Ne craignez donc rien, l’étoffe pour général, ça ne manque jamais. Si le nôtre est usé, on en fera un autre tout neuf.

— Et le gabelou espère qu’on le taillera dans sa peau ? objecta Francœur ironiquement.

— Pourquoi donc pas aussi bien que dans la tienne ? répliqua Moulins, dont les gros sourcils noirs s’agitèrent ; j’ai brûlé de la poudre pour la bonne cause quand tu portais encore l’uniforme des bleus.

— Possible, dit Francoeur, que la réquisition avait effectivement forcé à servir quelque temps parmi les républicains, mais ta poudre était de la poudre perdue.

— Pourquoi cela ?