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Et il se remit en marche vers le château.

Ses craintes ne devaient point, du reste, se réaliser. M. Jacques comprit son plan et l’adopta avec chaleur. Il fut décidé entre eux que chaque bande resterait sur sa paroisse sous le commandement du capitaine qu’elle s’était choisi, mais qu’un chef suprême imprimerait l’unité à la guerre en dirigeant les efforts partiels et les réunissant au besoin. Un service régulier devait être établi pour les dépêches ; on disperserait dans les bois et dans les closeries des dépôts de vivres et de munitions ; les pâtres devaient servir de guetteurs, les mendians d’espions, les femmes de messagers. On désigna des quartiers-généraux auxquels furent donnés de nouveaux noms pour dérouter les bleus. Jambe-d’Argent choisit la métairie du grand Bordage qu’il appela le camp des hauts Prés. Ce fut là qu’il se rendit pour organiser l’insurrection d’après le plan convenu. Son premier soin fut de préparer dans la métairie une retraite aux prêtres fugitifs, aux femmes proscrites et aux blessés. Il ménagea pour cela, dans les litières de l’étable amoncelées, selon l’usage, contre le pignon, un vide d’environ dix pieds garni de planches. Ce réduit communiquait, à travers le mur, avec une seconde cachette, plus vaste, ménagée au centre du grenier à foin. Le jour et l’air arrivaient par le haut. Ces deux retraites furent établies avec tant d’adresse, que les bleus fouillèrent vingt fois la métairie du grand Bordage sans pouvoir rien découvrir.

Ces précautions prises et la moisson achevée, l’agitation recommença partout. Malgré la mort du jeune la Raitrie, la rive droite de la Mayenne resta soulevée. Le Comte occupait les environs de Craon et d’Athé ; Fortin se montrait vers Lassay ; trois déserteurs, connus sous les surnoms de Rochambeau, de Custines et de Lafayette, tenaient les bleus en échec dans la paroisse de la Chapelle-au-Ribou ; les frères Lasseux formaient une bande près d’Ernée, et M. Duboisguy n’avait pas quitté la forêt de Fougère. Quant au Bas-Maine, Coquereau était revenu dans la campagne de Château-Gonthier ; Garot, Branche-d’Or, Francœur, soulevaient leurs villages, et les frères Chouan défendaient toujours le bois de Misdon. Tout se prépara pour associer ces élémens de révolte et pour en assurer la continuité. Jusqu’alors, la chouannerie du Maine n’avait été qu’une sorte de braconnage où les bleus remplaçaient le gibier ; elle allait enfin devenir une guerre.

La première entreprise importante fut contre le bourg d’Astillé, défendu par un fort détachement républicain. Jambe-d’Argent convoqua pour cette expédition tous les chefs de bande qui purent être avertis. Sa troupe, forte d’environ six cents hommes, fut partagée par lui en deux colonnes inégales. La première, moins nombreuse, devait tourner le bourg et attendre, pour se montrer, l’attaque de la seconde, dont il prit lui-même le commandement. Il cerna d’abord un petit hameau