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cet abaissement, l’instinct et l’exercice de sa supériorité. En retour de l’aumône reçue, il donnait un renseignement, une nouvelle, un conseil, et laissait celui qui l’avait secouru son obligé. Dans tous les jeux, il établissait la règle et la faisait respecter. Juge absolu des différends, il n’avait qu’un cri : La justice ! Son courage forçait d’abord à s’y soumettre, et sa loyauté la faisait ensuite aimer. De tous les chefs de bande, c’est le seul, avec M. Jacques, qui n’ait point laissé de double réputation. Pour eux, toutes les voix sont amies, toutes les traditions d’accord. Aussi ont-ils été les deux foyers vivans de la cause royaliste dans le Maine. L’insurrection entière tourna toujours autour d’eux, s’éclairant de leur lumière, s’échauffant de leur flamme, et, quand ils tombèrent, tout rentra dans le néant. Qui connaît leur histoire connaît celle de toute notre chouannerie.


II.

Au sortir de table, le propriétaire du Moulin-Neuf avait pris congé et était reparti ; je pus interroger plus à l’aise M. le Bon, qui, de son côté, me répondit plus librement. Il me raconta comment la révolution l’avait surpris presque au sortir du séminaire et à peine ordonné prêtre. Livré à ce premier et pacifique enchantement d’une ferveur satisfaite, sans regret du passé, heureux dans le présent et attendant les joies éternelles de l’avenir, il ne comprit rien aux colères du peuple. Contraint de se réfugier dans sa famille, il continua à y étudier ses livres, à cultiver ses fleurs, et à attendre, sous les charmilles, que Dieu eût apaisé les cœurs violens. Sa mère, vieille et aveugle, le retenait au logis ; on ignorait son retour dans le voisinage ; pendant long-temps nul ne songea ni à réclamer son saint ministère, ni à s’en armer contre lui. Retiré dans sa solitude comme dans une île, il entendait gronder l’orage sans en éprouver les secousses. Quelques mendians, qui continuaient à solliciter une aumône chaque jour plus rare à travers les villages dévastés, lui apportaient tous les vendredis des nouvelles de la guerre civile. Ils lui avaient appris les premières expéditions des frères Chouan, la destruction de l’armée catholique, et les nouveaux efforts tentés par les bandes d’insurgés.

Ces bandes, formées de Vendéens fugitifs auxquels s’étaient joints un certain nombre de Manceaux, n’avaient encore ni chefs ni organisation. Dispersées après chaque expédition, elles se reformaient pour l’expédition suivante avec des élémens nouveaux. Le plus hardi ou le mieux inspiré ce jour-là marchait à la tête des autres ; si son plan échouait et qu’un de ses compagnons trouvât mieux, il l’acceptait à l’instant pour capitaine et redevenait soldat. Ce fut ainsi que Coquereau lui-même, le plus habitué de tous à se faire obéir, reluit le commandement à