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Ici le drap a été oublié ou a disparu, ce qui expliquera aux malins la non réussite de la chose et les encouragera à recommencer.

Cette croyance populaire me rappela celle que j’avais entendu raconter en Normandie. Là comme partout, les nids d’hirondelles sont, pour les maisons auxquelles on les voit suspendus, une assurance de joie et de prospérité ; mais ces nids peuvent devenir en même temps, pour l’aveugle, un moyen de guérison. Il suffit d’attendre que les petits soient éclos et de leur crever les yeux. Dès que la mère s’en aperçoit, elle s’envole et revient bientôt avec une pierre dont elle se sert pour leur rendre la vue et que l’aveugle retrouve dans le nid pour s’en servir à son tour. Ainsi, en tous lieux et sous toutes les formes, la tradition attribue quelque rôle symbolique ou surhumain à cette race ailée qui vit dans l’océan des cieux. Placés entre la terre et les nuées, les oiseaux semblent participer à une double nature, et, lorsque les anges ont été mis en communication avec les hommes, ils ont emprunté leurs ailes. Puis n’ont-ils pas le prestige de tout ce qui arrive de loin ? Les Égyptiens étendaient leurs malades aux portes, convaincus que l’étranger qui passait devait leur apporter quelque remède des contrées inconnues. Ainsi fait le peuple en demandant aux oiseaux de nos campagnes mille dons merveilleux : eux aussi sont des étrangers qui passent, et, à les voir traverser l’éther, indifférens de l’espace, libres de tout lien, victorieux sans effort de tous les obstacles, comment ne point imaginer que la terre et le ciel sont sans mystères pour ces éternels voyageurs ?

Les inextricables méandres de la route que nous suivions variaient à l’infini les perspectives, mais semblaient éloigner le but. L’Angelus sonnait au loin à toutes les églises des villages, lorsqu’un toit d’ardoise se montra devant nous au-dessus des arbres. — Voilà le nid, dit le meunier, qui me l’indiqua du bout de son fouet ; nous y arriverons pour le dîner, ce qui est toujours la bonne heure chez les curés. Allons, Bolivar, un coup de vigueur ! nous allons au râtelier.

Le cheval partit comprendre, il allongea le pas, et nous aperçûmes enfin la façade du presbytère. Des vignes encadraient chaque fenêtre, couraient le long des cordons de maçonnerie qui surmontaient le rez-de-chaussée, brodaient les corniches, escaladaient le toit, et, rampant le long des pentes, allaient couronner les cheminées, qui épanouissaient au-dessus leur panache de fumée. Des pigeons roucoulaient mélodieusement sur l’ardoise échauffée par le soleil de midi, et, à la porte, un grand chien fauve, roulé sur lui-même, dormait aux pieds d’une vieille fileuse. Au bruit du char-à-bancs, tous deux relevèrent la tête ; le chien gronda doucement, et la servante poussa une exclamation de surprise.

— Eh ! c’est Catherine ! dit gaiement mon compagnon ; tu n’as donc pas entendu la cloche du dîner, ma vieille, que te voilà à faire tourner ton rouet au lieu de faire aller le tourne-broche ?