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avant de rien entreprendre sur l’est. D’un autre côté, même dans les provinces ; d’Alger et d’Oran, des divisions profondes séparent certaines familles et certaines tribus. Ce qu’on appelait, du temps des Turcs, les tribus maghzen, étaient habituées à servir d’instrument aux maîtres d’Alger pour lever l’impôt sur les autres ; à cette distinction fondamentale venaient se joindre des rivalités héréditaires. Ainsi, pour citer un exemple, les Ouled-Sidi-Larribi, qui habitent le Bas-Chélif, étaient les ennemis traditionnels des Hachems, qui habitaient la plaine d’Égris, et dont est sorti Abd-el-Kader. Presque partout, les vallées étaient en lutte avec les montagnes, les hautes vallées avec les basses ; chaque grande tribu était comme un canton suisse, et chacun sait que l’histoire de la Suisse est pleine de ces guerres de canton à canton qui paraissent aujourd’hui sur le point de se renouveler. C’est en exploitant ces dissensions qu’une armée de six mille Turcs dominait la régence entière.

Ce que six mille Turcs avaient fait, trente mille Français auraient bien pu le faire. La supériorité du nombre, de la tactique et de la civilisation, balançait plus que suffisamment l’infériorité qui résultait pour nous de la différence de religion ; on pouvait aussi rectifier sans danger dans la pratique ce que les usages suivis par nos prédécesseurs avaient de trop barbare. La guerre acharnée qui a eu lieu a conduit en définitive les troupes françaises à des actes de violence que nous ne blâmons pas, parce qu’ils étaient devenus nécessaires, mais qui ont eu un caractère plus sauvage et plus sanglant que ceux que ce système aurait pu amener… Une partie des indigènes servant d’auxiliaires aux Français pour faire la police de tout le pays et y maintenir l’ordre et la liberté des relations, telle eût été la politique la plus rationnelle, et on eût épargné ainsi bien du sang et de l’argent. Le maréchal Clauzel a eu une idée confuse de ce qui était possible dans ce sens, mais il s’y est mal pris, et il n’a obtenu que les résultats contraires à ceux qu’il cherchait ; de plus, il a voulu tout faire à la fois, ce qui est habituellement un moyen infaillible de tout manquer, et le fruit le plus clair de son gouvernement a été la réunion de tous les indigènes contre nous. Tel est le résumé de la première période.

On a beaucoup attaqué le traité conclu sur les bords de la Tafna par M. le général Bugeaud avec Abd-el-Kader, qui commence la seconde période ; mais il est bien manifeste, par la nature du livre de M. de Mont-Rond, que ce traité était devenu nécessaire par la situation des choses en Afrique lors du rappel du maréchal Clauzel. Pour exécuter la malheureuse campagne de Constantine, le maréchal avait retiré presque toutes les troupes de la province d’Oran, au moment du plus fort de la guerre contre Abd-el-Kader ; l’émir avait profité de cet abandon pour asseoir son autorité dans toute la province et jusque dans la province, d’Alger, également démunie ; la nouvelle de l’échec des Français devant Constantine avait fortifié encore ce pouvoir naissant, et, quand le traité fut signé, il ne donna pas, comme on l’a dit, le pays à Abd-el-Kader, il ne fit que reconnaître les faits accomplis. Le gouvernement français avait besoin à cette époque de frapper un grand coup à Constantine, pour faire oublier le malheur qui avait atteint nos armes, et il dut avant tout s’assurer la paix dans l’ouest pour porter ses plus grandes forces dans l’est.

Ce traité ne fut qu’une trêve et ne pouvait en être qu’une. Dès l’instant que