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dont il disposait. Rien n’est pénible à lire comme le récit de ces premières années dans le livre de M. de Mont-Rond ; on voit que le général en chef, dans sa précipitation à tenter les grandes aventures, n’a rien examiné d’avance, qu’il ne sait rien de ce qu’il devrait savoir. Comme administrateur, il fait lui-même une grande tentative de colonisation ; mais, sans se donner la peine d’étudier le sol et le climat, il se place dans le lieu le plus malsain de la régence, importe les cultures qui peuvent le moins réussir, et échoue enfin misérablement après avoir donné à son essai le nom pompeux de ferme-modèle, qui est resté comme une sanglante ironie. Guerrier, il n’est pas moins malheureux, toujours par le même défaut de connaissances préalables ; la tête pleine des souvenirs de l’expédition d’Égypte, il s’était fait une Afrique imaginaire, qui ne ressemblait en rien à la réalité.

Le plus simple bon sens semble pourtant indiquer que la première chose à faire, pour un gouverneur d’Alger, c’était de chercher à bien connaître le pays. Mieux valait cent fois rester plusieurs années enfermé dans les murs d’Alger pour se livrer à cette étude, que d’en sortir si vite pour se faire battre de toutes parts et pour allumer sur tous les points du sol des incendies qu’il a été plus tard si difficile d’éteindre. Cette réserve eût été alors d’autant plus naturelle, que la France, inquiète sur ses frontières en présence de l’Europe en armes, traversait péniblement ces premières années de la révolution de juillet où la guerre paraissait toujours imminente. Cette armée d’Afrique, si faible qu’elle fût en comparaison de ce qu’elle a dû être depuis, pouvait devenir à chaque instant nécessaire pour défendre le sol menacé de la patrie, et il était doublement imprudent de la compromettre. Malheureusement ce n’était pas là le compte de cette inquiétude d’esprit et de cette imagination chimérique qui caractérisent le premier gouverneur de l’Afrique : il voulait avant tout de la gloire, des faits d’armes ; malheureusement aussi l’opinion publique égarée a fait d’abord saule commune avec lui.

Nul doute que, si on avait su alors ce qu’on sait aujourd’hui, et il n’eût pas été difficile de le savoir avec un peu d’attention, on eût pu changer complètement le caractère qu’a eu notre occupation. Entre les mains d’un homme plus observateur et moins pressé, le gouvernement de l’Afrique aurait pu être infiniment plus pacifique ; mais il fallait pour cela commencer par apprendre l’arabe, se faire une juste idée du mode de gouvernement des Turcs, interroger avec soin les indigènes sur la géographie du pays, sur la constitution intérieure des tribus, et ne procéder jamais que sur des données à peu près certaines. Tout cela pouvait paraître long, peu brillant, et néanmoins c’était en réalité le chemin le plus court pour arriver au but. On n’aurait pas tardé à se convaincre que, si l’on essayait de dominer par les armes une région aussi formidable par ses fortifications naturelles et par le génie sauvage de ses habitans, il faudrait des efforts énormes pour en venir à bout, tandis qu’en se servant habilement de ces obstacles mêmes, en adoptant surtout ce qu’il y avait d’acceptable pour la France dans la politique des Turcs, il était assez facile de diviser les Arabes et de les soumettre les uns par les autres.

Une distinction complète existe, par exemple, entre les populations des provinces d’Alger et d’Oran et celles de la province de Constantine. La marche rationnelle consistait à s’assurer d’abord de la soumission de l’ouest et du centre