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certain qu’ils sont infiniment plus loin des idées de l’autre parti, et qu’en les adoptant ou en les tolérant, ils trahiraient la cause de l’ordre, de la justice et du véritable libéralisme. Ce que tous les hommes raisonnables devraient désirer, ce serait qu’il pût s’établir et se développer en Suisse un parti libéral modéré ; mais jusqu’à présent tous les efforts tentés pour en fonder un ont échoué. Genève l’a essayé ; pendant plusieurs années, le gouvernement de Genève a tenu la balance entre les partis qui voulaient en venir aux mains et a ajourné la guerre civile. Un beau jour, ce gouvernement a été culbuté par une émeute de faubourg. Il était la dernière digue opposée au désordre et à l’anarchie ; il a été renversé l’année dernière, on en voit les suites. Dans cette diète même, un des cantons séparatistes a essayé de proposer une transaction ; il n’a rencontré ni accueil chez ses adversaires, ni appui chez ses alliés ; sa proposition est tombée dans l’eau. Il n’y a donc pas à se le dissimuler, la politique de juste-milieu, cette politique qu’on peut trouver prosaïque, mais qui seule sait assurer le respect des droits de tous, n’est pas populaire en Suisse ; elle n’y a pas plus de succès d’un côté que de l’autre.

Les sept cantons ont pour eux le droit et l’éternelle justice. Au point où en sont venues les choses, il nous paraîtrait oiseux de discuter le plus ou moins de légalité de l’arrêté de la diète. Quand la légalité apparente viole le sentiment fondamental, permanent et inaliénable de la justice, elle abuse d’elle-même, elle se suicide. Un chiffre ne fait pas la raison ; il n’est pas permis à une simple majorité d’opprimer et d’écraser le droit. Si l’infraction d’une loi pouvait être justifiée par une infraction antérieure, si la justice se faisait à coups de représailles, nous pourrions dire que ce pacte dont on réclame aujourd’hui l’exécution au nom d’un chiffre brutal et stupide, a été violé tout d’abord par ceux qui s’en prétendent les interprètes légaux. Ce sont les cantons radicaux qui ont donné les premiers l’exemple d’une ligue séparée. En 1832, après les changemens opérés dans différens cantons par des révolutions intérieures, eux aussi ils formèrent un Sonderbund pour se protéger mutuellement. Ils ne trouvaient pas alors que ce fût une infraction au pacte. Qu’est-ce que le Sonderbund d’aujourd’hui ? Une ligue purement défensive. Cette ligue s’est formée après l’attaque impie des corps francs. A la suite de cette invasion, la diète s’est réunie, mais elle n’a fait que donner une nouvelle preuve de son impuissance. Qu’ont fait les cantons menacés par le radicalisme ? Ils ont dû se garantir contre l’impuissance ou contre la complicité du pouvoir fédéral, qui ne pouvait pas ou ne voulait pas les protéger contre de nouvelles attaques. Ils ont dit à leurs confédérés, ou du moins à ceux qui usurpent ce nom. « Si vous ne voulez pas nous attaquer, notre ligue ne vous regarde pas ; elle n’est pas formée contre vous. Si vous ne pouvez pas empêcher les invasions de nos ennemis, alors laissez-nous nous protéger nous-mêmes. L’alliance que nous avons formée pour nous défendre ne peut inquiéter que ceux qui veulent nous envahir, et, contre ceux-là, nous avons le droit de nous armer à l’avance pour sauver nos droits, notre religion, notre liberté. » Voilà le vrai sens du Sonderbund. Cette ligue n’est pas un motif, elle n’est qu’un prétexte d’intervention. Elle ne l’appelle pas, elle ne la provoque pas, elle n’est pas agressive ; au contraire, elle n’existe, elle ne se manifeste qu’en cas d’agression. Elle vit et brûle à l’état latent. C’est un contrat écrit pour ainsi dire avec de l’encre sympathique, et dont les caractères n’apparaissent que lors-