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c’est tout ce temps-là de gagné. Pavillon de marchands sans doute et non point drapeau d’empire : qu’y faire, s’il nous plaît ainsi ? »

Je n’essaierai point de rendre les colères qu’a soulevées dans la presse allemande un langage si mesquin, colères tempétueuses et colères aigres-douces, les fureurs du Zollvereinsblatt, les morsures de la Gazette d’Augsbourg, les sermons de la Gazette d’Heidelberg, les perfidies de la Gazette du Weser. L’orage dure encore. C’est Frédéric List, cet ardent esprit, qui a créé la Feuille du Zollverein. List était de ces gens qui crient au besoin : Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! Il faut cet emportement à tous les fondateurs ; sinon, comment ne pas mourir à la tâche ? Il y a déjà bien des années, j’ai connu, dans une des rencontres de sa vie trop errante, ce noble champion. Je l’entends encore me dire avec l’énergie de sa voix ces paroles que je n’ai point oubliées : « Dussé-je marcher à genoux et user mes genoux, j’irais jusqu’à la vérité quand je crois savoir où la prendre ! » Ainsi qu’il arrive toujours, les convictions de Frédéric List sont devenues du fanatisme chez ses successeurs. Le fanatisme ne recule devant rien. La Feuille du Zollverein déclare aujourd’hui qu’elle voudrait voir le port de Hambourg ensablé.

Au milieu de ce déchaînement général, il s’est fait dans les dehors de la Prusse un revirement singulier. Aussitôt la diète close, le Moniteur prussien, la Gazette générale de Prusse, s’est senti animé d’un beau zèle pour la prédication du libre échange. A la veille des conférences douanières de 1846, la Gazette de Prusse défendait encore les droits protecteurs ; elle est devenue tout d’un coup l’intime alliée du Correspondant de Hambourg, vieux soutien de la liberté hanséatique, l’alliée du Port-Franc (der Freihafen), dernièrement mis au monde et patroné par les auteurs du mémoire hambourgeois. La Prusse, qui a si vivement saisi l’opinion de la question des droits différentiels, abandonnerait-elle aujourd’hui le parti dont elle est l’ame ? Je ne pense pas qu’il y ait rien de sérieux derrière cette apparente défection ; elle prouverait seulement une fois de plus l’incertitude qui règne toujours à Berlin dans les données courantes de la direction supérieure. La direction particulière du commerce et des impôts est aux mains d’hommes excessivement distingués, M. Kühne, M. de Roenne, M. de Patow du ministère des affaires étrangères ; mais chacun a ses vues et travaille dans son sens, qui pour le free-tracte, qui pour la continuation et le rajeunissement du Zollverein. Malheureusement le ministre des finances ; M. de Düesberg, est un peu venu à ce poste-là comme jadis Chamillart au contrôle. C’était un très bon jurisconsulte ; le roi s’est chargé de lui apprendre son département. Les leçons n’ont pas encore assez profité. Il arrive donc ainsi que la conduite manque d’en haut pour diriger avec quelque précision les excellens sous-oeuvres que fournit la bureaucratie