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le sien ; la nation n’entrevoyait la loi qu’à travers le prisme de sa passion, et jamais son cœur ne fut plus étranger au sentiment de la liberté véritable que lorsqu’elle en invoquait le nom et qu’elle allait mourir pour elle sur tous les champs de bataille.

En Angleterre, le pays avait fait un long apprentissage des institutions libres ; il avait combattu à Runnimeade pour la cause qu’avait fait triompher le stathouder de Hollande après plus de quatre siècles : aussi sa constitution parlementaire se confond-elle aujourd’hui avec sa vie historique ; mais, spectacle remarquable et digne des plus sérieuses méditations ! l’Angleterre reste, de nos jours, aussi étrangère au sentiment de l’égalité civile et de l’unité administrative que la France de 1789 pouvait l’être à celui de la liberté politique. L’une, préparée par l’influence de l’aristocratie au rôle qu’elle remplit dans le monde avec tant d’éclat, n’a pu conquérir encore ni l’habitude, ni le goût de la vie démocratique, et le droit d’aînesse, par exemple, est demeuré aussi populaire dans ses chaumières que dans ses châteaux ; l’autre, façonnée par la main du pouvoir à sa mission de nivellement social, n’acquiert qu’à grand’peine et au prix de longs efforts le respect du droit d’autrui et de cette religion de la loi par laquelle grandissent les peuples libres. L’Angleterre, dotée de la plus vigoureuse constitution de l’Europe, n’a pu parvenir à se donner un système de procédure raisonnable et une administration quelque peu régulière. De son côté, la France, qui a inauguré la démocratie dans la famille comme dans l’état, et subi avec un rare bonheur les expériences les plus audacieuses, depuis l’unité des départemens jusqu’à celle des poids et mesures, la France des rois absolus et des parlemens en est encore à s’inquiéter du froc d’un capucin et à disputer aux familles le droit de disposer de l’avenir moral de leurs fils. Voilà ce que l’esprit aristocratique a produit d’un côté du détroit, et ce que la suprématie royale a préparé de l’autre ; voilà l’œuvre des principes rendue sensible par leurs conséquences, et les infirmités du présent éclairées par la lumière que le passé projette sur elles.

Lorsque le parti tory défendait, dans le royaume-uni, l’acte du test et les bourgs-pourris, il le faisait au nom des institutions paternelles. Lorsque l’on combat en France la liberté de l’enseignement, on le fait en se prévalant de la grande loi d’unité d’après laquelle a été constituée la nation. Ce sont là des argumens qui finiront par se briser sans nul doute contre le génie et les besoins des sociétés nouvelles ; mais s’ils descendent si avant dans le sentiment public, malgré la contradiction qu’ils impliquent avec tous les principes qui nous régissent, c’est parce que les souvenirs du passé semblent les revêtir d’une sorte de consécration. Prétendre élever systématiquement un édifice sur une