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n’avaient pas moins préparé que celles de la philosophie moderne ; en substituant les cases d’un échiquier géométriquement découpé aux antiques provinces du royaume, on continuait l’application du système qui les avait réunies à la couronne ; lorsque l’on organisait d’après un même principe l’administration de la justice par toute la France, depuis le tribunal de paix jusqu’au tribunal de cassation, on restait fidèle à la pensée des établissemens de saint Louis ; et, quand la constituante remania toute l’administration territoriale et financière, elle se trouva souvent dans le cas d’appliquer des vues qui se rencontrent en germe dans les lettres de Louis XI, dans la correspondance d’Henri IV et dans les écrits politiques du cardinal de Richelieu. Aussi ces tentatives, quelque hardies qu’elles parussent être, se développèrent-elles heureusement, parce qu’elles avaient leur généalogie dans l’histoire. Toute cette partie du travail révolutionnaire fut donc accomplie sans bouleversement et presque sans résistance, grace à l’impulsion qu’elle reçut du génie national. Les intérêts froissés subirent la loi des temps et eurent le plus souvent l’honneur de devancer des sacrifices reconnus nécessaires. Ce ne fut ni la réunion des trois ordres, ni la nuit du 4 août, ni la suppression des parlemens, ni la substitution des départemens aux provinces qui provoqua la lutte où la révolution faillit succomber sous le coup de ses propres fureurs. La patrie de Clisson et celle de Plantagenet s’étaient laissé affubler du nom de départemens du Morbihan et de Maine-et-Loire ; le palais où siégèrent les Molé et les Séguier avait vu monter sur ses sièges vénérés des magistrats obscurs ; les descendans des plus grandes maisons du royaume faisaient assaut de patriotisme et de dévouement avec la bourgeoisie, et nulle part il n’y avait encore à signaler de sérieuses résistances. Mais, après qu’on eut fondé l’égalité civile et l’uniformité de législation, et lorsqu’on fut dans le cas d’aborder les questions vraiment politiques, c’est-à-dire celles qui se rapportaient à la constitution et à la pondération des pouvoirs, le législateur, loin d’être soutenu, comme il l’avait été d’abord, par le sentiment public, se trouva contrarié par lui dans la partie la plus difficile de sa tâche. Le droit de veto fut attribué à la couronne, et, quand celle-ci prétendit s’en servir pour résister aux entraînemens populaires, on la paralysa par l’émeute ; on proclama la liberté de la presse, et, lorsque quelques journaux contrarièrent les opinions dominantes, on lanterna les journalistes ; on fit de pompeuses déclarations en faveur de la liberté des cultes, pendant qu’on dressait la constitution civile du clergé, et les violations les plus patentes du pacte si solennellement juré ne soulevèrent au sein des masses ni improbation, ni colère. La France n’admettait pas la légitimité d’une résistance contre sa pensée du moment ; nul n’avait été enseigné à croire au droit d’autrui et à lui subordonner