avait fort affaibli les grands états qui, jusqu’à la fin du XVIe siècle, avaient formé pour la France un contre-poids redoutable. L’Allemagne, livrée à la guerre et à l’anarchie pour près d’un siècle, ne pesait plus sur les destinées de l’Europe. A peine la réforme avait-elle arboré son drapeau à Smalkalde, que, du vivant même de Charles-Quint, il devenait possible de pressentir les longues humiliations auxquelles la couronne du saint-empire serait exposée dans l’avenir, avant d’être atteinte par l’épée de la Prusse et de disparaître sous la botte de Napoléon. L’Angleterre se trouvait, après Élisabeth, épuisée par les efforts de la royauté pour résister aux factions et pour maintenir un lien que chaque jour relâchait davantage entre les trois parties de la monarchie. L’Angleterre épiscopale, l’Écosse presbytérienne et l’Irlande catholique se livraient un combat terrible, et la Grande-Bretagne commençait contre l’île voisine cette œuvre de destruction dont les dernières conséquences épouvantent encore le monde. L’Espagne, de son côté, avait perdu les Pays-Bas, et les états-généraux de Hollande, en même temps que les braves cantons de la Suisse, offraient à la France une nouvelle et précieuse alliance. Pendant ce temps, la cour de l’Escurial s’endormait dans une mortelle torpeur, allant chercher au bout du monde des richesses métalliques pour masquer sa misère chaque jour croissante, et descendant majestueusement dans son sépulcre comme une momie recouverte de laines d’or.
Ce fut au moment précis où la France avait ainsi l’entière disposition de ses forces que parut, à la tête de son gouvernement, l’homme dont on serait tenté d’inscrire le nom dans la chronologie des rois. Richelieu exploita, avec une rare sagacité et une habileté incomparable, toutes les chances qu’offrait à la fortune de sa patrie l’état de l’Europe coupée en deux par la réforme ; mais, avant d’en profiter pour assurer sa prépondérance au dehors, il prit soin d’achever au dedans l’œuvre des grands esprits qui l’avaient précédé : il triompha, non sans peine et sans péril, dans la dernière lutte engagée contre le trône par les princes du sang et par les favoris pour arracher à la faiblesse d’une femme l’hérédité des grandes charges et des grands gouvernemens provinciaux. Henri IV n’avait été contraint de frapper qu’une tête illustre, celle de Biron, parce qu’étant roi, une révolution seule pouvait le renverser, et que les partis, même au plus haut paroxysme de leurs violences, hésitent à aller jusqu’à l’extrémité d’une révolution. Simple ministre de Louis XIII, Richelieu dut en faire tomber un plus grand nombre, parce qu’une intrigue aurait suffi pour l’abattre, et que la modération est l’attribut exclusif de la force. En même temps qu’il décapitait les partis, qu’il rasait leurs villes ou qu’il y mettait garnison, ce ministre imprimait une impulsion uniforme à l’organisation de la marine et de l’armée,