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qu’ils ont de plus immuable. L’affaiblissement de la monarchie, la rupture de cette unité si laborieusement poursuivie, une sorte de fédération municipale sous le protectorat seigneurial, tel fut le projet poursuivi en commun par les ministres du saint Évangile et par les brillans courtisans du Louvre. La maison de Condé, la maison de Rohan, la maison de Châtillon, confondirent leurs haines avec celles qui animaient les bourgeois de quelques grandes villes et les rudes prédicans des montagnes. Si la réforme eût triomphé sous les derniers Valois ou sous les premiers princes de la maison de Bourbon, c’en était fait de l’œuvre poursuivie au prix du sang de vingt générations : le cours des destinées de la France était radicalement changé, et le problème de son avenir aurait reçu une solution toute différente.

Ce fut à un prince réformé qu’il fut donné d’arrêter le cours de la réforme, et d’étendre la puissance royale dans les circonstances même qui semblaient devoir en amener, sinon la chute, du moins l’affaiblissement inévitable. Henri IV accomplit avec bonheur l’œuvre la plus ardue qui soit imposée aux hommes politiques, il se servit de son parti pour le combat et le répudia après la victoire, sans perdre son honneur dans cette double entreprise. Il accomplit sous les plus séduisans dehors la tâche la moins chevaleresque qu’un prince soit en mesure de poursuivre, celle d’user sans scrupule du dévouement des autres pour atteindre un but qu’on leur cache et dont on a seul la pleine conscience. Héros sans enthousiasme et sectaire sans croyance, calculateur profond sous des formes naïves le plus souvent calculées elles-mêmes, Henri de Béarn escamota la réforme à son profit, et il trouve devant l’histoire la justification de sa conduite dans l’immense service rendu à l’indivisibilité de la monarchie française.

Celle-ci était en effet menacée des deux côtés à la fois. La victoire des réformés aurait amené, avec la prépondérance de l’Angleterre protestante, une sorte de fractionnement territorial sous forme fédérale, et, si la maison de Guise était parvenue à supplanter celle de Bourbon, elle se fût trouvée placée, en montant sur le trône, dans l’impérieuse nécessité de faire d’immenses concessions à l’Espagne catholique. C’est le propre des guerres civiles où la conscience est engagée, de laisser les combattans sans nul scrupule en ce qui concerne l’intervention de l’étranger. Une transaction entre les partis pouvait seule préserver la France de cette extrémité funeste, et, après vingt années d’épreuves, Henri IV se sentit assez habile pour la combiner, assez fort pour l’imposer à tous.

Le vaillant chef de la maison de Bourbon laissa donc la France plus compacte et la royauté plus puissante qu’elle ne l’avait été sous les règnes précédens. Ce progrès était d’autant plus sensible que le protestantisme