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En créant l’homme libre, Dieu a dû se servir, pour les fins de sa providence, de ses vices comme de ses vertus : aussi permit-il que Louis XI, qui sépara la politique de la morale, vînt en aide à la même œuvre que Louis IX, dont l’honneur est de les avoir identifiées. Aux dernières années du XVe siècle, la concentration du pouvoir était devenue une nécessité, regrettable sans doute, mais évidente, et la monarchie ne pouvait être sauvée qu’en prenant un caractère tout militaire. Des débris de la puissance bourguignonne et des hasards de la succession féminine allait sortir la puissance la plus redoutable qu’eût vue l’Europe depuis les jours de Charlemagne. Pendant que la France, sous Charles VIII et sous Louis XII, épuisait ses forces dans de vaines tentatives sur l’Italie, comme pour laver par le sang des champs de bataille les traces du sang que le précédent règne avait fait couler sur l’échafaud, les Pays-Bas étaient réunis à la monarchie espagnole, et la couronne impériale venait se poser sur le front de l’héritier de Philippe-le-Beau et de Jeanne-la-Folle. L’unité territoriale de la monarchie, consommée désormais par la réunion du duché de Bretagne, la concentration de tous les pouvoirs politiques aux mains de son roi, permirent seules à la France de supporter sans péril la pression exercée sur elle par Charles-Quint, dans le duel terrible où l’inégalité des deux puissances était rendue plus sensible encore par l’inégalité politique des deux rivaux. Si François Ier put résister à Charles d’Autriche, s’il fut même donné à son successeur de l’emporter sur Philippe II, ce fut uniquement parce que ces princes eurent la pleine disponibilité de toutes les ressources de la monarchie.

Plus soucieuse du sort de sa nationalité compromise que du développement de son organisation intérieure, incapable, d’ailleurs, de se passionner pour deux idées à la fois, la France avait laissé ses rois absorber presque tous les pouvoirs précédemment revendiqués par les états-généraux de la nation, et le caractère équivoque des parlemens avait servi merveilleusement la politique royale sur ce point comme sur tous les autres. Appuyée sur de grands corps, judiciaires par leur nature, mais législatifs par leurs prétentions, qui revêtaient d’une sorte de sanction les actes du bon plaisir, la royauté trouvait là un auxiliaire dévoué jusqu’au fanatisme. Le concordat conclu par François Ier avec Léon X, en donnant à la couronne une action directe et continue sur le personnel de l’église, préparait le triste régime d’un clergé de cour, et le développement de la richesse publique mit bientôt le pouvoir en mesure d’étendre ses moyens d’influence et d’action sur toutes les classes de la société. Ainsi tombèrent successivement toutes les résistances avec toutes les forces indépendantes, et le trône, étayé sur une bourgeoisie qui grandissait à son ombre, n’eut plus guère en face de lui, dès l’ouverture du XVIe siècle, que les seigneurs élevés par la faveur