Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un grand état ou une puissance du second ordre ? Tel était le débat que cinq règnes pleins d’événemens furent consacrés à vider.

De l’an 1328, date de l’avènement de la branche collatérale de Valois, à l’an 1429, date du sacre de Charles VII à Reims, trois générations donnèrent leur sang pour arracher la France à la suprématie de l’Angleterre et pour élever entre les deux contrées une barrière insurmontable. Des noms éclatans et d’héroïques personnages remplissent toute cette période. Le roi Jean, frappant d’estoc et de taille aux champs de Poitiers ; son fils, au milieu des factions complices de l’étranger, réparant à force de sagesse les calamités provoquées par l’imprévoyance de son père et de son aïeul ; la raison de Charles VI s’abîmant sous le poids des malheurs publics, et cette démence royale arrachant à la nation sa dernière espérance ; puis, au milieu des chevaliers intrépides au corps bardé d’acier, une forme lumineuse qui traverse la nuit des temps comme une céleste apparition pour s’évanouir dans les flammes d’un bûcher : ce sont là des tableaux d’une variété sans exemple et d’un pathétique sans égal.

Toutefois, parmi les innombrables figures qui attirent l’attention et commandent les respects publics, il en est une qui se détache d’une manière plus ferme et plus éclatante à la fois ; entre tous les guerriers tombant tour à tour sur ce vaste champ de carnage, dans cette bataille d’un siècle de durée, il en est un qui domine la scène et semble la remplir tout entière. Duguesclin fut, durant sa longue vie militaire, le centre de toutes les grandes opérations, l’ame de la résistance à l’Anglais, l’expression la plus élevée de toutes les antipathies nationales, et son nom devint après sa mort le mot d’ordre de la patrie et comme le cri de guerre de la France. Il conquit le royaume pied à pied, rattacha les provinces d’outre-Loire à la nationalité française, et, sur le sol délivré par son bras, il força plus de donjons et rasa plus de places fortes que les âges antérieurs n’en avaient abattu. Penseur profond autant que guerrier intrépide, il renouvela la face de la guerre, substituant la puissance de la discipline à celle du nombre et la stratégie à la force ; animé contre l’Angleterre d’une passion inextinguible, il parvint le premier à la faire partager à la France ; dévoué avec exaltation à l’autorité royale, inséparable dans sa pensée de l’unité nationale dont il professait le culte, il alla jusqu’à sacrifier à la France la Bretagne, sa chère patrie, quoiqu’il fût Breton de sang et de cœur. Le grand connétable eut tous les instincts de l’avenir, tous les pressentimens de l’organisation politique destinée à remplacer cette société féodale à laquelle il porta de si rudes coups ; il fut le premier centralisateur-militaire du moyen-âge et le serviteur-type de la monarchie et de la France.

Le vainqueur de Cocherel avait accompli sous Charles V la libération