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qui, ne relevant pas immédiatement du monarque, restaient soumises à la domination directe des grands vassaux. Louis IX fit de la justice le principal moyen d’accroissement de sa puissance, se fiant, pour faire accepter les innovations les plus hardies, à cet instinct inné de l’ordre et du droit qui vit au fond de toutes les sociétés comme de toutes les consciences. S’il n’obtint pas chez les grands vassaux indépendans l’application immédiate des réformes introduites par lui dans les domaines de la couronne, il sut conquérir par l’influence ce que la constitution sociale lui interdisait d’exiger par la force. L’extension de la juridiction royale fut peu contestée sous son règne, et sa sainteté devint, comme sa justice, un instrument de son pouvoir. Créateur de la science du droit écrit, il fonda l’importance politique et personnelle des hommes qui avaient fait de cette science l’objet spécial de leurs études. Appelés d’abord pour seconder les barons, les légistes les remplacèrent bientôt sur les sièges des cours de justice, et la bourgeoisie naissante se glissa dans les vides que les croisades avaient faits au sein de la hiérarchie seigneuriale.

Plein de foi dans la source divine de son pouvoir, nourri des traditions bibliques, le cœur brûlant de charité pour les pauvres et pour les petits, saint Louis fut l’adversaire naturel et nécessaire de la société féodale ; il l’affaiblit par le prestige de ses malheurs autant et plus que par celui de sa gloire, et, lorsqu’elle plaça son image sur les autels, l’église parut donner à l’œuvre politique du prince martyr la consécration du ciel. En allant mourir sur la cendre à Carthage, le fondateur de la monarchie judiciaire imprima à ses institutions un sceau plus inviolable que ne l’avait fait Lycurgue en s’exilant de Sparte, car le culte pour sa mémoire devint une partie de la foi dans un siècle où la foi était la respiration même de la société.

Philippe-le-Bel appela dans les grands conseils de la nation les représentans de cette bourgeoisie dont saint Louis avait préparé l’avènement. Louis-le-Hutin, Philippe-le-Long et Charles-le-Bel héritèrent, avec la couronne paternelle, d’une politique qui devint, dès cette époque, une tradition nationale et comme le patrimoine de la royauté. Cette politique consistait à faire pénétrer de plus en plus l’esprit juriste dans la constitution de la monarchie, en substituant les magistrats aux barons, le droit romain au droit féodal, et les parlemens aux états-généraux du royaume. L’élément judiciaire se produisit avec son caractère propre : il s’efforça de se créer une place à part entre les deux puissances existantes avant lui, l’aristocratie et le clergé, contre lesquelles il engagea une lutte persévérante, tantôt ouverte, tantôt latente. Faire prédominer le droit écrit sur le droit coutumier, l’idée de l’état sur celle de l’église, absorber dans la puissance royale toutes les forces indépendantes, telle fut la politique des légistes auxquels les derniers Capétiens