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fatal et sincère aveu que finit ce drame, où s’agite la raison humaine. Les diverses solutions du mystérieux problème y sont tour à tour comprises et mises en présence, mais aucune n’y apparaît la meilleure ni la vraie. Ce qui en ressort, c’est le besoin qu’a cette raison humaine d’aller en avant toujours et d’aspirer vers la vérité, coûte que coûte, dût-elle ne jamais l’atteindre et rencontrer pour tout prix le martyre. Ce moderne Abélard, en ses heures d’angoisse, a de l’antique Prométhée.

Mais, à côté d’Abélard, il y a les écoliers ; à côté du maître, de celui qui cherche l’émancipation sérieuse de l’esprit, il y a ceux qui préludent à la légère et en gaussant. On rencontre surtout au premier rang et l’on ne peut s’empêcher d’aimer un certain Manegold, un charmant et vaillant écolier, qui, par gageure, au sortir d’une nuit passée à la taverne, est le premier à entrer dans la classe en criant : En avant et du nouveau ! qui, narguant l’anachronisme, fait des chansons déjà, comme, trois siècles plus tard, en fera Villon, et dont l’esprit, même aux instans sérieux, a l’air (passez-moi le mot) de polissonner toujours. Imaginez un drôle spirituel et dévoué, tel qu’il s’en présente en France à chaque insurrection intellectuelle ou autre, un enfant de Paris malgré son nom alsacien, aide-de-camp prédestiné pour toutes les journées de barricades. Manegold précède Abélard en chantant. En France, la chanson précède volontiers le raisonnement. Elle l’a aussi précédé, si nous nous en souvenons bien, au sein de l’esprit de M. de Rémusat.

Et tandis que l’écolier libertin chante tout plein d’ivresse et de folie, le maître se lève, jeune aussi et beau, mais au front pâle : « Folâtre jeune homme, est-ce que tu ne sais pas que tout est sérieux ?… » Écoutez ! c’est l’Abélard éternel, la voix triste et grave que toute haute intelligence porte en soi.

Ce Manegold traverse et anime heureusement tout le drame ; il est tout-à-fait absent dans la vie imprimée d’Abélard. L’érudition n’a point de prise sur ces évocations-là, et la fantaisie qui les crée se retrouve plus vraie que la science. Mais je m’aperçois que, si je n’y prends garde, je me laisse aller à parler de ce qui n’est point connu du public. Je coupe court et je me résume en répétant que, si l’Abélard qu’on a (la vie imprimée) est plus parfait comme ouvrage, l’Abélard-drame, qu’on aura un jour, paraîtra une plus vraie et plus entière expression du talent que nous nous sommes ici efforcé de peindre.

Le Rapport lu à l’Académie des sciences morales sur la philosophie allemande, et qui forme tout un volume, sort de notre compétence. La préface, où l’auteur a rassemblé les points principaux de l’examen et a présenté la génération des divers systèmes, de Kant à Hégel, est fort appréciée des gens du métier. C’est dans le temps de ce travail et des