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l’histoire contemporaine, et où l’on met en œuvre ceux que des commis-voyageurs sont chargés de recueillir sur tous les points du royaume ? Comment se reconnaître au milieu des débats contradictoires soulevés par l’authenticité de certains volumes ? Nous nous bornerons à un seul exemple. Au moment de la publication des Mémoires de mademoiselle Cochelet, lectrice de la reine Hortense, le frère de l’auteur déclara, dans une lettre rendue publique, que ces souvenirs avaient été écrits par une main étrangère. L’éditeur, à son tour, déclara que Mlle Cochelet les avait remis, à son lit de mort, à une personne de confiance, dont il les tenait directement.

Les mémoires ont été encore compromis par des noms qui ne devaient point figurer dans la littérature, et il nous suffira de rappeler à ce propos les souvenirs publiés sous le nom de l’héroïne du Glandier. Enfin ils ont été déconsidérés par des livres aussi prétentieux qu’insignifians. De même qu’une foule d’écrivains ou d’artistes complètement inconnus font sculpter leur buste ou tailler leur médaillon comme une offrande qu’ils déposent dans notre panthéon national, de même une foule de personnages obscurs, se prenant bien à tort pour des hommes importans, se sont mis à dicter leurs commentaires et à faire leurs confidences à leur siècle et à l’avenir. Ce sentiment fastidieux de la personnalité reparaît sans cesse, même dans les ouvrages les plus sérieux, et on peut surtout reprocher aux écrivains contemporains de parler d’eux jusqu’au déboire, comme disait La Bruyère à propos de l’abbé de Choisy. Cette manie des mémoires, qui date des dernières années de la restauration, se propage à cette époque comme une épidémie parmi les femmes que leur âge condamne uniquement aux souvenirs. Dans ce groupe, qui relève plus directement de Tallemant des Réaux, moins la finesse et la verve, que de Mmes de Caylus ou de Motteville, quelques femmes posent résolûment en Laïs, la plupart en vestales, et, comme on l’a dit, c’est à qui aura dédaigné les hommages de sa majesté l’empereur Napoléon ou de sa majesté l’empereur Alexandre, repoussé les billets doux du roi Murat ou les sommations du prince Eugène. Après les mémoires des femmes historiques, on eut les mémoires des femmes de salon, ce qui ne fit que donner par le contraste un charme nouveau aux mémoires des femmes de cour du grand siècle.

Le goût qui, dans ces dernières années, s’est développé avec tant d’énergie pour l’étude de nos annales, ne pouvait rester circonscrit dans l’histoire générale ; les provinces, les duchés, les comtés, dont l’agrégation successive a formé la France actuelle, les villes, les plus simples localités elles-mêmes, ont eu leurs annalistes, et si l’histoire qu’on peut appeler individuelle excite en nous de si vives sympathies, c’est qu’elle est, ainsi que l’a dit M. Augustin Thierry, « la seule où notre aine s’attache par un intérêt patriotique ; les autres peuvent nous sembler curieuses, instructives, dignes d’admiration, mais elles ne touchent point de cette manière. » Depuis quinze ans, la production de ces sortes d’ouvrages a toujours suivi une marche ascendante ; on en trouve 128 en 1833, 191 en 1836, et, à partir de 1840, on dépasse toujours le chiffre de 200. La plupart de ces sortes d’ouvrages, rédigés en province, pèchent par l’ordre, par la méthode, par la mise en œuvre, et les auteurs les ont souvent rendus incomplets en négligeant de consulter les documens qui se trouvent en si grand nombre dans les dépôts scientifiques de Paris, et dont les provinces, les villes qu’ils concernent ignorent l’existence. Auprès de quelques ouvrages estimables, excellens, il y a