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les publier sans les accompagner des observations qu’ils exigent, s’imaginant avoir acquis des titres littéraires par le seul fait de la publication. » La remarque est fort juste ; mais M. Raynouard aurait pu dire que, si simple que soit le travail de la reproduction, bien des éditeurs n’ont pu même arriver à une reproduction correcte, et qu’on s’est trop souvent montré, pour ces automates de l’érudition, prodigue d’encouragemens qu’il eût été bon de réserver à des travaux d’un ordre plus élevé.

Quand on passe des éditeurs qui publient les documens aux écrivains qui les mettent en œuvre, on est surpris de voir avec quel zèle infatigable les travailleurs se portent aux études historiques. À aucune autre époque, les historiens vraiment dignes de ce nom, les érudits de cette sage et sévère école française illustrée par les Mabillon, les Baluze, les Fréret, les de Laurière, n’ont été ni plus nombreux, ni mieux appréciés. Il suffit de nommer dans l’érudition MM. Daunou, de Pastoret, Pardessus, Beugnot ; dans l’histoire, MM. Guizot, Augustin et Amédée Thierry, Michelet, de Barante, Mignet, Guérard, de Sismondi. Les livres de ces maîtres se trouvent tout à la fois dans le cabinet de l’érudit et la bibliothèque de l’homme du monde, et, comme preuve de la popularité dont ils jouissent, nous rappellerons qu’il est entré dans la circulation près de cent mille exemplaires des œuvres de M. Augustin Thierry. Cependant la curiosité des lecteurs est si grande pour les souvenirs de notre glorieuse patrie, que les compilateurs trouvent encore à se faire une place auprès des écrivains que nous venons de citer. En 1832, à l’époque où, dans la librairie, s’organise le placement à domicile, on vend dans l’espace de quelques mois 50, 000 exemplaires des Tableaux synoptiques de l’Histoire de France. En 1837 et 1838, trois compilations ayant pour titre Histoire de France paraissent simultanément et se vendent ensemble en deux ans et demi à 130, 000 exemplaires. La moyenne des Histoires de France, des Abrégés, des Précis, des Programmes de cette histoire, est de 25 par année, et ces Précis, ces Abrégés, sont toujours, comme les grammaires nouvelles, rédigés sur un nouveau plan. Anquetil, et qui pourrait le croire ? Le Ragois, ce créateur du distique historique et de l’histoire par demandes et par réponses, reparaissent sans cesse continués, illustrés, annotés, et telle est la persistance du succès, que, tout en rajeunissant Le Ragois, on garde encore son nom sur les titres comme un excellent patronage pour la vente.

La spéculation ne pouvait manquer d’exploiter une branche qui trouvait auprès du public un aussi facile accès. Des ateliers, c’est le seul mot qui convienne, furent organisés pour fabriquer des histoires de France générales ou particulières. On vit des éditeurs confier la direction de ces sortes d’entreprises à des hommes qui, à défaut de science suffisante ou de connaissances spéciales, présentaient du moins au public la garantie souvent fort suspecte d’un titre officiel. Ces directeurs, à leur tour, traitèrent eux-mêmes avec des rédacteurs de seconde main sur lesquels ils réalisèrent quelquefois des bénéfices considérables, en abaissant à 40 fr. le prix des feuilles qui leur étaient payées 100 fr. par les libraires. Cette convention déplorable, où tout nuit à la dignité des personnes et à la bonté du travail, ne fut pas même, en certains cas, strictement exécutée, car il nous serait facile de citer plus d’un ouvrage où l’entrepreneur a fait faillite à ses adjudicataires, et a gardé pour lui une partie de l’argent tout en prenant le travail. Nous pourrions en indiquer encore où le sous-traitant a sous-