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et l’on regrette, c’est là un sentiment que chacun de nous a éprouvé, de ne pouvoir revenir dans quelques siècles sur cette terre pour y contempler les merveilles de l’invention humaine. Il s’opère aujourd’hui, dans l’ordre scientifique, un progrès analogue à celui qui s’est opéré dans l’ordre social et politique au moment de la révolution, et, comme à toutes les grandes époques, l’impulsion violente des idées pousse sans cesse vers des idées nouvelles. On peut nier la théologie, la philosophie, on peut contester les progrès de la littérature ; on ne saurait contester les progrès des sciences.

Sous Louis XIV, les savans n’étaient pas étrangers à la philosophie et aux lettres. Aujourd’hui la littérature et la science sont complètement séparées, et l’homme de lettres est tout-à-fait distinct du savant, autant par ses travaux que par son caractère. Aventureux par nature, impressionnable, avide d’émotions, l’homme de lettres laisse dans sa vie beaucoup de choses au hasard. Il craint les positions officielles, fussent-elles même lucratives, lorsqu’elles sont assujétissantes, mais il chérit les sinécures. Il aime l’argent, mais il aime encore plus la dépense. Il est tout à la fois vaniteux, jaloux et obligeant, et, malgré une certaine faiblesse de caractère trop commune aujourd’hui, très accessible aux sentimens généreux et très facile dans les relations. Il joue au succès littéraire comme on joue à la Bourse, au risque de se ruiner d’un seul coup. Quand il est admiré par les uns, il est toujours, fût-il même au premier rang, contesté par les autres. Le savant, au contraire, a dans sa vie quelque chose de la régularité monacale ; il aime les gros emplois, les honneurs et quelquefois l’intrigue. Il travaille long-temps et patiemment pour conquérir une position certaine et bien rentée. Quand il s’est fait sa place dans un monde spécial, personne ne songe à la lui disputer. Il a de plus pour le cumul des sympathies vives, et professe en général pour les gens de lettres un dédain superbe. Si sa gloire n’arrive pas toujours jusqu’au publie, il parvient ordinairement à l’Institut et très souvent à la fortune. La différence qui existe entre l’homme de lettres et le savant se retrouve aussi entre la librairie littéraire et la librairie scientifique. La première est aventureuse ; elle se jette au hasard dans des spéculations téméraires ; elle se fait par les annonces, par les réclames, comme les écrivains par la camaraderie, des succès artificiels, et s’enrichit ou se ruine en quelques mois. La seconde, active sans être bruyante, procède avec prudence ; elle a une clientelle sûre, et, sans réaliser toujours de grands bénéfices, elle fait du moins fort honnêtement ses affaires. Cette librairie a pris, dans ces dernières années, un développement considérable, surtout dans les sciences naturelles, l’agriculture et la médecine.

Les publications qui ont pour objet l’histoire naturelle, les trois règnes, comme on eût dit au temps de Bernardin de Saint-Pierre, sont fort nombreuses, comparées à ce qu’elles étaient il y a trente ans. Ainsi elles donnent, y compris les traités élémentaires et les réimpressions, pour les années suivantes :

1833 : 79 ouvrages.
1834 : 143
1835 : 119
1837 : 97
1838 : 120
1841 : 85
1842 : 67
1843 : 65

Ce sont la géologie, la physiologie végétale, l’anatomie comparée et l’entomologie