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rité dans les chambres, s’agiteront davantage encore pour prendre leur revanche dans le pays, et le pays, à vrai dire, semble tout disposé à la leur donner.

Il y a maintenant aux États-Unis une passion de conquête qui change toutes les habitudes politiques et morales de la jeune société américaine. Rien n’est piquant comme l’effort d’esprit de frère Jonathan pour accommoder ces avides ambitions du génie militaire avec les règles fondamentales de sa constitution républicaine et les préceptes bourgeois de son existence civile. Il ne s’agit plus seulement de garder le Nouveau-Mexique et les Californies ; on veut acheter Cuba au gouvernement espagnol et enlever les îles Sandwich au protectorat anglais ; on s’appuiera solidement ainsi sur le Pacifique en même temps que sur l’Atlantique. Voilà de grands projets, mais, à lire les journaux américains, on n’entend point cependant guerroyer pour l’amour de la gloire et des conquêtes ; on ne penserait point à s’étendre, si l’on n’avait une mission à remplir, une mission providentielle à laquelle on doit toute fidélité. Il faut empêcher les états européens de prendre pied dans le Nouveau-Monde au préjudice des institutions républicaines ; il faut porter partout ces institutions qui doivent réunir toutes les Amériques dans une communion fraternelle. Le général Kearney appelle déjà les habitans de la Californie du nom de concitoyens ; les soldats américains ne sont que des propagandistes, des missionnaires armés. On va loin avec cette pointe d’hypocrisie puritaine.

Il est curieux de voir comment cet esprit conquérant sait faire son chemin sans jamais oublier les précautions et la prudence. Les îles Sandwich sont l’objet de bien des convoitises ; mais nulle convoitise ne s’explique mieux que celle des Américains, qui trouveraient ainsi une admirable station à moitié chemin de la Chine. La concurrence jalouse de l’Angleterre et de la Russie a garanti l’indépendance provisoire de ces îles, si bien situées sur la grande route de l’Océan Pacifique. Cette indépendance a bientôt profité aux États-Unis. Les missionnaires méthodistes se sont installés à la cour du petit souverain des Sandwich ; des milliers d’Américains sont déjà venus se mêler à la population indigène : ils ont planté du sucre, du café, du cacao, du tabac, cultivé le coton et la soie, et fait leur fortune en convertissant les idolâtres. De 1836 à 1841, trois cent cinquante-huit baleiniers des États-Unis ont abordé à Honolulu. La bonne moitié de toutes les importations provient de la grande république américaine, et la valeur de ses intérêts commerciaux dépasse là d’un cinquième celle des intérêts anglais. Comment chasser les Yankees d’une terre qu’ils ont déjà dans les mains, le jour où il leur plaira de proclamer toute la place qu’ils y tiennent ? Mêmes procédés au sujet de Cuba. On parle aujourd’hui tout haut à Washington de l’annexion de Cuba comme on parlait de celle du Texas et de l’Orégon. Or, en 1825, les États-Unis avaient déjà saisi l’occasion d’une croisière française établie dans les environs de Cuba et de Porto-Rico, pour déclarer au gouvernement français qu’ils ne souffriraient point que Cuba dépendit d’une autre puissance européenne que l’Espagne. La question a bien marché depuis, et, l’hiver dernier, des créoles de la Havane et des citoyens américains ont à peu près publiquement disputé des moyens de joindre aux États-Unis la belle colonie espagnole. C’est un thème qui reste à l’ordre du jour, malgré la part que la guerre du Mexique prélève sur l’attention générale. Il n’est pas de gazette qui ne déclare que Cuba relève des