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écrasés par des forces supérieures, l’invasion s’arrêterait toujours à l’entrée des montagnes des petits cantons primitifs. On se rappelle ce qu’il en a coûté en 1798 aux armées françaises pour réduire ces populations inexpugnables. Ce sont toujours les mêmes cœurs libres, les mêmes bras forts, animés encore du même amour de la patrie et de la religion. La guerre ne laisserait à ces cantons, les fondateurs de la Suisse, d’autre ressource que de se retirer de la confédération.

Toutes ces considérations pèseront d’un certain poids sur les résolutions de la diète, qui va se réunir dans trois jours à Berne. Le parti radical sait, d’ailleurs, qu’il ne peut compter, dans ses tentatives pour troubler la paix, sur aucune sympathie extérieure. Nous ne croyons pas que lord Minto, en passant par la Suisse pour aller à Rome, ait donné au parti de la guerre aucune espèce d’encouragement ; nous sommes plutôt portés à penser le contraire. D’un autre côté, les gouvernemens de l’Europe se préoccuperaient nécessairement d’un état de choses qui serait de nature à altérer les relations créées par les traités, et les gouvernemens limitrophes de la Suisse auraient quelque raison de s’inquiéter plus que les autres et de manifester leurs inquiétudes par quelques mesures de précaution. Toutes ces causes réunies nous font encore douter, malgré toutes les apparences, qu’une guerre immédiate soit inévitable en Suisse.

En Angleterre, la crise financière, loin de diminuer, s’aggrave encore. De nouvelles faillites sont venues s’ajouter aux désastres déjà connus, et la banque resserre de plus en plus ses escomptes. Une des principales causes de ce malaise est dans l’excessive sévérité du bill de 1844, qui renferme l’action de la banque d’Angleterre dans des limites trop étroites, et il est probable que, dans la prochaine session du parlement, toutes les questions qui se rattachent au crédit seront reprises en sous-œuvre. Le bill de sir Robert Peel sera l’objet de vives attaques, et sera sans doute amendé sur quelques points. En attendant, les embarras de nos voisins augmentent : c’est une véritable panique. L’annonce de l’emprunt que vient d’ouvrir le gouvernement français a imprimé un nouveau mouvement de baisse à la bourse de Londres. Le Morning Chronicle ne va-t-il pas jusqu’à engager la banque d’Angleterre à refuser plus que jamais de faire des avances sur dépôt de fonds publics, dans la crainte que ces avances ne servent à prendre un intérêt dans l’emprunt français ? C’est pousser loin, on en conviendra, l’isolement financier. On dirait que quelques organes de la presse anglaise éprouvent une sourde irritation, parce que notre situation économique, tout en ayant ses complications et ses difficultés, est en ce moment meilleure que celle de la Grande-Bretagne. Si nous indiquons en passant cette supériorité relative, nous ne nous faisons pas illusion sur ce que l’état de nos propres finances a de grave et de tendu. Le gouvernement a reconnu qu’il lui était impossible de se passer de l’emprunt ; seulement il n’a émis que pour 250 millions de rentes, et il en a échelonné le versement sur vingt-cinq mois. 100 millions restent en réserve, tant pour les éventualités futures que pour l’amortissement. Certes on pourrait désirer pour l’ouverture et pour l’adjudication de l’emprunt un meilleur état de la place ; cependant il ne faut pas non plus fermer les yeux sur tout ce qui peut contribuer à relever les affaires. Nous n’avons pas à craindre pour l’hiver prochain le malaise dont les classes laborieuses souffraient si vivement encore il y a quelques mois. L’industrie doit recevoir un heureux contrecoup des prospérités de l’agriculture.