Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Rémusat suivit on devança ces divers mouvemens du groupe avec activité, avec aisance et à son plaisir. On vient de le voir préludant au mouvement romantique dans le Lycée. Il apprenait l’allemand pour lire Kant, et il s’en servit pour traduire avec son ami, M. de Guizard, le théâtre presque entier de Goethe[1], dans la collection des Théâtres étrangers. On trouverait dans ce même recueil des notices de lui sur quelques-unes des pièces de Goethe, ainsi que sur le 24 Février de Werner, sur l’Emilia Galotti de Lessing (1821-1822). — C’était le moment où il faisait pour l’édition de Cicéron, publiée par M. Victor Le Clerc, la traduction du De Legibus dont nous avons parlé. La remarquable préface qu’il mit en tête, à côté du cachet métaphysique moderne dont elle est empreinte, offre des traces de sa préoccupation politique récente. En montrant le parti aristocratique dont était Cicéron, il songe évidemment au côté droit arrivant aux affaires, et il peint l’un dans l’autre, trait pour trait[2].

Cependant, à la fin de 1821, M. de Rémusat avait perdu sa mère ; un des premiers actes du ministère Villèle fut de destituer son père : le jeune homme se trouva tout-à-fait libre. Si dans les trois dernières années, en effet, il s’était émancipé politiquement, il ne l’avait fait encore que dans une certaine mesure et avec des égards pour des désirs respectés. Il put désormais se jeter sans balancer dans l’opposition militante. Tout en conservant des liens intimes avec les doctrinaires, il suivit plus hardiment la pente de son âge et de ses opinions qui l’inclinaient vers la gauche.

Les Tablettes se fondèrent (1823) ; il a raconté, dans l’article sur M. Jouffroy, comment ce recueil périodique devint le point de réunion des trois groupes, des trois pelotons comme il les appelle, qui formaient le corps de la jeune milice : 1° M. Thiers et son ami, ne faisant qu’un à eux deux et semblant plusieurs ; 2° M. Jouffroy et les proscrits de l’École normale ; 3° enfin, les volontaires sortis des salons, et parisiens pour la plupart. Dans le portrait qu’il a tracé de ces derniers[3],

  1. Tout le théâtre, hors le Faust, traduit par M. de Sainte-Aulaire.
  2. « Point de nouveauté si nécessaire et si légitime, écrivait-il, qu’ils ne crussent de leur devoir de repousser ; point d’usage reçu, point d’abus même, pourvu qu’il fût ancien, qu’on ne les vît s’efforcer à tout prix de conserver ou de restaurer. L’antiquité, la sagesse de leurs pères, étaient pour eux la règle infaillible. Ils ne négligeaient aucune occasion d’assurer le moindre droit, le moindre privilège à l’ordre sénatorial et au corps des patriciens, comme aux défenseurs des mœurs et des lois du passé. Le maintien ou le rétablissement du gouvernement aristocratique, le retour à ce qu’ils regardaient comme l’ancien régime, était leur seul effort et leur unique doctrine. Elle aurait pu se réduire à ces deux mots : les douze Tables et les honnêtes gens. » (Préface du De Legibus, page 15.) Pour bien entendre l’allusion, il faut se rappeler la devise royaliste du Conservateur et de la Monarchie selon la Charte.
  3. « Dans une région sociale différente, des hommes du même âge, etc., etc. » (Voir au tome II des Mélanges, page. 201.) C’est de même qu’à la page 202, sous figure collective, il a peint expressément M. Thiers.