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des mesures prises en vue des difficultés actuelles, il suffira de rappeler quelles lois régissaient la propriété dans les diverses parties de l’empire avant les derniers événemens de la Gallicie, et de montrer, avec les conséquences de cette législation, les plaies douloureuses qu’il s’agit aujourd’hui de guérir.


I. – LA LEGISLATION

Le mal date de loin, et la cause en est plus ancienne que l’Autriche elle-même. Cette puissance est une confédération de peuples très divers sous un gouvernement absolu qui, malgré sa force, a dû dans tous les temps respecter leur originalité nationale. Or, chacune de ces races, avec son caractère primitif, a eu aussi un développement à part, une histoire individuelle, enfin des mœurs et des lois conformes à son génie et aux événemens qu’elle a traversés. Depuis les tribus de Zingares qui vivent en communauté dans des habitations souterraines ou bien sous la tente dans les forêts de la Transylvanie, sans aucune notion de la propriété immobilière, jusqu’au cultivateur libre de la Lombardie, du Tyrol et du rivage de l’Adriatique (Küsten-Land), l’empire présente toutes les formes imaginables de la société civile. C’est le système féodal qui domine dans tout le pays habité originairement par les Slaves, Polonais, Illyriens ou Bohèmes. A une époque plus reculée et dont les poètes ont gardé le souvenir, la propriété était ici communale ; l’état seul possédait. Les cultivateurs étaient tenanciers d’une partie du sol divisée entre eux par portions égales ; ils exploitaient l’autre pour le compte de la communauté et de ceux qui concouraient à l’administrer ou à la défendre. A défaut des invasions et de la conquête, le temps eût détruit ces formes essentielles des primitives associations ; mais l’établissement des Romains en Dacie, en Pannonie, en Illyrie, l’arrivée des Huns ou Magyars sur les bords du Danube, la domination germanique, les ont promptement bouleversées et transformées. L’esclavage ou tout au moins le servage a succédé à ces démocraties naissantes, et l’histoire des populations agricoles de ces contrées n’a plus été que l’histoire de leur oppression et de leurs souffrances.

Aux XIIIe, XIVe et XVe siècles, ces souffrances étaient intolérables, bien que le christianisme eût adouci les mœurs. Fréquemment, les paysans, accablés, exaspérés, protestaient par l’insurrection contre la violence ; mais leurs sanglantes prises d’armes obtenaient aussi peu de succès que leurs humbles suppliques. Quelquefois même, comme on le vit au XIVe siècle en Hongrie, après la révolte infructueuse de Docza, les paysans perdaient dans la défaite le peu de droits que l’on avait bien voulu accorder à leur obéissance. Au XVIIIe siècle, le progrès des idées et le danger d’une guerre sociale arrachèrent quelques concessions à Marie-Thérèse, notamment le code des cultivateurs (urbarium), donné en 4767 à la Hongrie, et un règlement provisoire (puncla regulativa), accordé à la Transylvanie en 1769. Joseph II voulut continuer cette œuvre en la systématisant. Une nouvelle révolte fort semblable à celle dont la Gallicie vient d’être le théâtre, et conduite par un Roumain ou Valaque de la Transylvanie, Hora, poussait l’impétueux réformateur dans cette voie ; elle l’aidait par l’effroi que causait aux nobles cette guerre aux châteaux, qui tendait aussi à l’extermination des Magyars[1] ; mais la volonté souveraine de Joseph II se brisa contre le provincialisme

  1. Cette insurrection des paysans de la Transylvanie a été dénaturée par beaucoup d’historiens. Plusieurs ont fait de Hora un Magyar ennemi du joug de l’Autriche. C’était un Roumain, et dans son ambition, qui fut grande, il ne voulait pas moins que la restauration de la nationalité roumaine, sous le nom de royaume de Dacie.