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mais le nombre n’y pouvait rien faire en cette circonstance. Les équipages de siége que l’on attendait furent saisis par la flotte anglaise, qui parvint à jeter dans Acre ses ingénieurs et ses canonniers. Ce fut un Français nommé Phelippeaux, ancien condisciple de Napoléon, qui, comme on sait, dirigea la défense. Une vieille haine d’écolier a peut-être décidé du sort d’un monde !

III. — UN DÉJEUNER À SAINT-JEAN-D’ACRE.


Le paquebot avait remis à la voile ; la chaîne du Liban s’abaissait et reculait de plus en plus à mesure que nous approchions d’Acre ; la plage devenait sablonneuse et se dépouillait de verdure. Cependant nous ne tardâmes pas à apercevoir le port de Sour, l’ancienne Tyr, où l’on ne s’arrêta que pour prendre quelques passagers. La ville est beaucoup moins importante encore que Seyda. Elle est bâtie sur le rivage, et l’îlot où s’élevait Tyr à l’époque du siége qu’en fit Alexandre n’est plus couvert que de jardins et de pâturages. La jetée que fit construire le conquérant, tout empâtée par les sables, ne montre plus les traces du travail humain, c’est un isthme d’un quart de lieue simplement. Mais, si l’antiquité ne se révèle plus sur ces bords que par des débris de colonnes rouges et grises, l’âge chrétien a laissé des vestiges plus imposans. On distingue encore les fondations de l’ancienne cathédrale, bâtie dans le goût syrien, qui se divisait en trois nefs semi-circulaires séparées par des pilastres, et où fut le tombeau de Frédéric Barberousse, noyé près de Tyr, dans le Kasamy. Les fameux puits d’eau vive de Ras-El-Aïn, célébrés dans la Bible, et qui sont de véritables puits artésiens, dont on attribue la création à Salomon, existent encore à une lieue de la ville, et l’aqueduc qui en amenait les eaux à Tyr découpe toujours sur le ciel plusieurs de ses arches immenses. Voilà tout ce que Tyr a conservé ; ses vases transparens, sa pourpre éclatante, ses bois précieux étaient jadis renommés par toute la terre. Ces riches exportations ont fait place à un petit commerce de grains récoltés par les Métualis, et vendus par les Grecs, très nombreux dans la ville.

La nuit tombait lorsque nous entrâmes dans le port de Saint-Jean-d’Acre. Il était trop tard pour débarquer ; mais, à la clarté si nette des étoiles, tous les détails du golfe, gracieusement arrondi entre Acre et Kaïffa, se dessinaient à l’aide du contraste de la terre et des eaux. Audelà d’un horizon de quelques lieues se découpent les cimes de l’Anti-Liban qui s’abaissent à gauche, tandis qu’à droite se lève et s’étage en croupes hardies la chaîne du Carmel, qui s’étend vers la Galilée. La ville endormie ne se révélait encore que par ses murs à créneaux, ses tours carrées et les dômes d’étain de sa mosquée, indiquée de loin par