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dispersés, de leur donner la vie quand ils sont enfouis et morts dans des livres étrangers au public, de les soumettre à un arrangement sévère et à un plan commun, d’apporter dans l’inventaire général de nos richesses pour chaque fraction du territoire cette exactitude minutieuse avec laquelle la carte du dépôt de la guerre reproduit la configuration et les moindres accidens du sol, et d’en former enfin comme une encyclopédie de la France que les études accomplies rendent possible, et que rendent opportune les goûts, les instincts et les préoccupations de notre temps.

L’école économique révolutionnaire ou socialiste se présente depuis quinze ans divisée en trois sectes : le saint-simonisme, le fouriérisme et le communisme. Nous avons vu, à l’occasion de M. l’abbé Châtel, quelle était aujourd’hui la destinée d’une hérésie religieuse. Le saint-simonisme nous montrera quelle est la destinée d’une hérésie sociale.

On sait que Saint-Simon, après avoir amassé dans des spéculations hardies une fortune immense, qu’il perdit bientôt dans des spéculations nouvelles, se fit économiste au moment de sa ruine. La comédie dont les derniers actes devaient se jouer en 1834 commença sous l’empire par un divorce. Le réformateur avait épousé une femme aimable, digne de toute son affection, et qu’il aimait tendrement ; mais, comme il entrait dans ses vues d’abolir le mariage, ou du moins de ne l’admettre qu’à l’état transitoire, il écrivit un jour à celle qui portait son nom que, « malgré la tendresse et l’estime que lui inspiraient sa personne et son caractère, les pensées étroites et vulgaires dans lesquelles elle avait été élevée et qui la dominaient encore ne lui permettaient pas de s’élancer avec lui au-dessus de toutes les lignes connues ; qu’il était donc obligé de demander le divorce, le premier homme de ce monde ne pouvant avoir pour épouse que la première femme. » Le divorce fut prononcé, et Saint-Simon, détaché dès-lors de tout sentiment vulgaire, déposa ses théories dans des livres qui restèrent long-temps concentrés entre les mains d’un petit nombre de disciples. Les vues nouvelles que ces livres contenaient sur l’industrie firent irruption dans le public par le Producteur, dont le premier numéro parut le 1er octobre 1825. Malgré son journal, la secte vécut sans éclat pendant six ans ; mais à peine la révolution de juillet était-elle accomplie que le saint-simonisme déploya sa bannière, se fit faire un costume bleu, laissa croître sa barbe et annonça qu’il venait changer le monde. Pendant la seule année 1833, qui fut appelée l’année de la mère, on vit paraître vingt-huit brochures adressées aux femmes juives, à la prostituée, aux femmes de tous les peuples et de toutes les religions. On remplaça la trinité chrétienne par un dieu père et mère, l’épouse mère de famille par la femme libre, et Paris par la ville nouvelle. Le public, qui se laisse toujours séduire par les excentricités, assista pendant quelque temps, comme à un spectacle, aux exercices religieux, aux concerts et aux travaux des saint-simoniens, qui avaient, on se le rappelle, choisi Ménilmontant pour champ d’asile ; mais il devait en être de ce sanctuaire de Ménilmontant comme du phalanstère de Condé-sur-Vègre. L’hérésie pénétra dans la nouvelle église. M. Bazard, qui était marié, repoussa la communauté des femmes, l’une des théories favorites de la secte, et fit schisme contre le père. Vers le même temps, l’auteur de l’Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement de la femme,