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L’année 1839 avait vu paraître les travaux de M. Comte et de M. Buchez. En 1840, M. de Lamennais rentra dans la lice par l’Esquisse d’une philosophie, apportant tout à la fois dans ce livre les allures du théologien et celles de l’écrivain démocratique. Écrite avec grandeur et toujours majestueuse, l’Esquisse excita un certain mouvement de curiosité, parce qu’on espérait y trouver le résultat des luttes de l’auteur et voir si son insurrection contre la papauté devait profiter soit à la philosophie, soit à la religion, soit à la démocratie. On n’avait plus à y chercher la foi, on y chercha la démonstration ; mais il se trouva que la théorie scientifique, dégagée du faste de l’exposition, reposait sur cette pensée caduque, que le consentement universel est le véritable critérium. De quelque nom qu’ils fussent signés, aucun des livres de l’école qui nous occupe n’a excité une de ces émotions sérieuses qui provoquent les révolutions dans les sciences spéculatives. MM. Comte, Leroux, Lamennais, sont restés isolés dans leurs systèmes. M. Buchez seul a rallié, sous le nom de buchésistes ou de buchésiens, car on dit les deux, un certain nombre de disciples qui ont soutenu dans leurs livres les idées du maître.

L’école éclectique, qui date de 1817, a pour chef M. Cousin, et pour aïeux directs MM. Royer-Collard et La Romiguière. Maladroitement contrariée dans son enseignement par la restauration, envers laquelle elle n’était ni très hostile ni très agressive à son début, elle devint d’autant plus populaire qu’elle se jeta plus avant dans l’opposition, et en 1828 elle avait rallié en France la majorité des esprits. 1830 vit son avènement aux affaires, et depuis cette époque elle a régné en souveraine absolue dans l’enseignement ; elle a siégé en majorité à l’Institut, et la première elle a donné l’exemple d’une philosophie arrivée à une position hautement gouvernementale. Spiritualiste, mais non mystique, respectueuse envers les vérités révélées, mais indépendante dans ses investigations, tolérante en politique comme en philosophie, un peu timide en toutes choses, demandant aux gouvernemens leurs sympathies pour les peuples contrairement à l’école théologique qui ne leur demande que des rigueurs, acceptant la vie comme une épreuve et non comme une expiation, l’école éclectique transporta la psychologie dans l’histoire, confronta chaque système avec les faits de conscience, et, en cherchant à apprécier à leur juste valeur la sensation et la révélation, elle s’efforça de déduire une théorie qui éclairât ou complétât les systèmes entre lesquels elle se plaçait comme médiatrice. L’éclectisme, qui s’est révélé surtout par les concours, les thèses, les mémoires académiques, semble avoir depuis long-temps renoncé aux travaux dogmatiques pour la critique et l’érudition. Il a exhumé l’antiquité, le moyen-âge ; il s’est fait, dans les bibliothèques d’élite, l’éditeur de tous les penseurs du XVIIe et du XVIIIe siècle, enfin il nous a initiés à la philosophie écossaise, à la philosophie allemande. Grace à ses recherches, à ses investigations, nous savons aujourd’hui les opinions que les hommes de tous les temps ont émises sur les problèmes éternels ; mais peut-être aussi cette immense exhibition de systèmes nous a-t-elle rendus quelque peu sceptiques, et, en voyant ainsi ce qu’ont pensé les philosophes anciens et modernes, on finit par ne plus savoir ce qu’on doit penser soi-même, et par malheur l’éclectisme, qui le sait sans doute, ne le dit pas toujours.

Soumises dans leurs théories à d’incessantes variations, les sciences spéculatives ont aussi subi dans les diverses branches qu’elles embrassent le caprice de