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partage en plusieurs branches, remonte aux dernières années de la restauration, mais à cette date elle sommeille pour ainsi dire entre les bras du saint-simonisme ; après la révolution de juillet, elle s’absorbe dans la politique, et ce n’est que vers 1838, au moment où commence la guerre dans les sciences spéculatives, qu’elle apparaît à l’état de système. MM. Auguste Comte, Pierre Leroux, de Lamennais et Buchez en sont les principaux représentans.

Après avoir travaillé au Producteur, journal saint-simonien, qui fut accusé par Benjamin Constant de papisme industriel, et au Catéchisme des industriels, journal fouriériste, M. Comte, esprit vigoureux et hardi jusqu’à la témérité, a résumé ses doctrines dans le Cours de philosophie positive dont le premier volume parut en 1839. Le principal sujet de ses méditations est la loi du développement de la perfectibilité humaine ; son système s’appelle système de physique sociale, et il est fondé sur la combinaison des indications de la science physiologique avec les révélations de l’histoire collective du genre humain.

M. Pierre Leroux, qui prit une part active à l’apostolat saint-simonien, étudie, comme M. Comte, la théorie du progrès, et, dans son livre de l’Humanité, il l’applique aux destinées de ce monde. Suivant lui, l’humanité avance sans cesse ; il n’y a ni catastrophe, ni décadence, ni fatalité physique. C’était aussi l’avis du docteur Pangloss ; mais que deviennent les bénéfices du progrès continu par rapport aux générations mortes et à celles qui mourront bientôt ? Qu’importent aux Grecs ou aux Gaulois nos découvertes modernes ? que nous importent, à nous, les découvertes des hommes qui vivront dans dix siècles ? Pangloss n’était qu’optimiste et ne cherchait pas si loin. L’auteur du livre de l’Humanité a prévu l’objection. Comment y répondre ? Pour montrer que notre civilisation, nos sciences profitent aux peuples disparus depuis deux mille ans, que nous profiterons nous-mêmes des progrès de ceux qui nous suivront sur cette terre, il n’y avait guère qu’un moyen, c’était d’évoquer les morts. M. Leroux les a évoqués, et, suivant lui, nous ne sommes que des ressuscités, de Pangloss nous arrivons droit à Pythagore ; mais si réellement, comme veut le prouver M. Pierre Leroux, l’humanité avance sans cesse, comment se fait-il que dans ses systèmes il recule jusqu’à la métempsycose ?

M. Buchez, comme M. Comte, comme M. Leroux, a traversé le saint-simonisme. En 1833, il posa les bases de son système dans l’introduction à la science de l’histoire et dans le journal hebdomadaire l’Européen. L’introduction et les préfaces de l’Histoire parlementaire de la révolution française en continuèrent l’exposition. Enfin, en 1839, M. Buchez en donna le dernier mot dans l’Essai complet d’un traité de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès. L’idée qui domine dans ce livre, c’est que l’humanité accomplit progressivement une fonction morale, que la tâche actuelle et future des nations européennes est de faire passer dans les institutions politiques et sociales les principes de la morale chrétienne, et que cette mission est surtout dévolue à la France, dont la nationalité même a été fondée sur le catholicisme, et qui en a pris l’initiative par la révolution. Le peuple français devient de la sorte, dans l’histoire idéale de l’humanité, une contrefaçon du peuple de Dieu, et M. Buchez, fondateur de l’une des sociétés politiques qui combattirent avec le plus de courage les principes ultra-catholiques de la restauration, se rencontre avec M. Lacordaire, fondateur des dominicains modernes.