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La loi naturelle, toute la loi naturelle, et rien que la loi naturelle, telle était la profession de foi de M. Châtel. M. Châtel, proclamé en 1831 primat des Gaules par l’élection du peuple et du clergé[1], déclara croire à l’unité de Dieu dans toute la rigueur du mot, et n’admettre que la trinité platonicienne, c’est-à-dire la trinité d’attributs. Le primat des Gaules ajoutait que le Christ est un philanthrope qui faisait des miracles à l’aide du magnétisme, que Socrate, Platon, et Napoléon sont de la même lignée, avec cette différence que Napoléon est un docteur guerrier et le Christ un docteur pacifique. Le primat rallia des disciples, et, par une transaction sans exemple dans les annales de l’hérésie, il donna sur l’ouvrage intitulé Profession de foi de l’église française et sur son Vatican nomade une hypothèque, en vertu de laquelle un riche propriétaire, qui avait pris des actions dans la réforme, s’engagea à fournir les fonds nécessaires à la propagation des doctrines religieuses, en se réservant une part dans la vente du livre que nous venons de citer et dans les recettes des temples. Pendant quatre ans, l’hérésie nouvelle rallia quelques curieux autour des sermons et des fêtes bizarres qu’elle avait substitués aux grandes solennités de l’église. En 1836, l’église française entonnait encore un chant de triomphe, et annonçait la chute inévitable et prochaine du catholicisme romain. En 1838, pour ranimer sa vie défaillante par des alliances nouvelles, elle publiait, par la plume de M. Châtel, le Code de l’humanité, et essayait dans ce livre de s’appuyer sur le véritable socialisme. Quatre ans plus tard, elle était descendue, pour n’en plus sortir, dans les limbes de l’oubli. C’est par un journal, le Réformateur, écho de la religion et du siècle, qu’elle s’était révélée au monde ; c’est par un journal nouveau, le Réformateur religieux, que, douze ans plus tard, elle a fait ses adieux à la vie, comme si les journaux devaient servir aujourd’hui de linceuls à tous les rêveurs. Ceux qui ont pu s’intéresser quelques instans à cette malencontreuse hérésie et qui l’ont à son origine accueillie avec intérêt, parce qu’elle avait inscrit sur sa bannière les mots de liberté, de tolérance, se demanderont peut-être ce qu’est devenu le primat des Gaules. – Est-il allé en pèlerinage dans la ville sainte, pieds nus, comme au XIIe siècle, et ne vivant que des herbes arrachées le long des routes ? Serait-il, comme les Mérovingiens détrônés, enseveli dans quelque sombre couvent ? Serait-il à Rome aux genoux du saint-père ? L’église a-t-elle accepté son acte de contrition ? — Qu’on se rassure : M. Châtel, pour vivre tranquille, n’a pas même eu besoin de faire pénitence, et la Littérature contemporaine nous apprend que, vers 1845, le primat des Gaules était directeur d’un bureau de poste aux lettres qu’il tenait de la munificence de l’état.

En résumant, au paragraphe de la théologie orthodoxe, l’importance littéraire ou intellectuelle de cette théologie, nous avons dit, sans nous croire injuste à son égard, que, malgré le mouvement qui s’est opéré dans les idées religieuses, elle est restée complètement au-dessous de son rôle, et surtout au-dessous de son passé. Nous pouvons répéter la même remarque à propos des réformateurs qui se sont insurgés contre la tradition au nom du progrès. Les écrivains de l’école catholique moderne, en essayant de construire des monumens

  1. M. Châtel avait reçu la consécration épiscopale des mains de l’un des grands dignitaires de l’ordre du temple, qui exerçait alors à Paris la profession d’épicier.