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ministère, qu’une courte halte sous M. de Martignac, une halte en apparence triomphante, mais inquiétée au fond et compromise par le souvenir de tout ce qui avait précédé. Le terrain était miné sous les pieds, et, quoique l’atmosphère générale des esprits fût alors fort calmée et presque libre d’orages, une cour aveugle ne le croyait pas, et on ne croyait guère en elle. La Restauration se divise donc naturellement en deux portions, celle qui précède le ministère Villèle, et celle qui en provient. M. de Rémusat, qui prit une part si brillante aux luttes de la seconde moitié et qui fut, vers la fin, un des chefs de la jeune garde militante, combattit aussi dans la période antérieure comme un actif et vaillant soldat. Le premier ministère de M. de Richelieu, en se dissolvant de lui-même à la fin de 1818, avait fait place au cabinet présidé par M. Dessoles, qui fut le plus libéral de tous ceux de la Restauration. Le jeune Rémusat y devint ministériel, et ce fut son seul temps de ministérialisme avant 1830. Tout récemment lié par son article des Archives avec les chefs doctrinaires qui étaient les conseillers intimes du cabinet, il suivit M. Guizot, alors directeur général à l’intérieur, et pendant toute l’année 1819 il servit de sa plume une politique qui tendait à réaliser ses voeux. On l’employa utilement à ces sortes d’écrits destinés à la circonstance, et qui ne lui survivent pas. De cette quantité de publications officielles ou semi-officielles, exposés de motifs, brochures explicatives des projets de loi, etc., etc., nous n’en indiquerons qu’une sur la responsabilité des ministres, et une autre sur la liberté de la presse. Cette dernière, qui avait pour objet de motiver et d’appuyer les projets de loi présentés sur la définition des délits de presse et sur leur mode de jugement par le jury[1], se recommande encore aujourd’hui par des idées générales très hautes, très fermes, exprimées non sans éclat. Il m’est impossible d’y rien noter de juvénile, si ce n’est peut-être une certaine forme condensée, un enchaînement parfois si serré qu’il peut paraître obscur, en un mot une légère exagération de la maturité. L’auteur y embrasse et y résume d’un coup d’œil philosophique les différentes phases par lesquelles a passé la liberté de la presse en France. L’opinion sur ce chapitre devança toujours les lois, et les éluda. Ce fut seulement dans la première moitié du XVIIIe siècle que l’opinion commença à devenir une puissance :


« Dès cette époque, disait M. de Rémusat, la liberté de penser, suite naturelle de cette oisiveté de la civilisation, qui, suspendant le cours des passions violentes, force l’esprit à se replier sur lui-même, à scruter ses propres conceptions, et remet ainsi les croyances sous le contrôle du raisonnement ; la liberté de penser, gênée par la double barrière que lui opposaient le pouvoir et l’usage, cherchait de toutes parts une issue, impatiente de se produire au dehors. Comme elle aspirait

  1. Voici le titre exact : De la Liberté de la Presse, et des Projets de loi présentés à la Chambre des Députés dans la séance du lundi 22 mars 1819.