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histoire littéraire que nous reprochent les Anglais et les Allemands, mieux renseignés que nous, il faut en convenir, sur les écrivains qui font leur gloire. L’homme de lettres qui écrit son livre s’inquiète peu de ce que d’autres écrivent autour de lui. Le public, de son côté, lit souvent sans chercher ce qu’il doit lire, sur l’enseigne trompeuse d’un nom, sur la foi plus trompeuse encore d’une mention complaisante ou intéressée, et, pour un volume qu’on ouvre au hasard, on en laisse passer mille sans en soupçonner même l’existence. Le bibliographe, au contraire, fidèle à sa devise : Livres nouveaulx, livres viels et anticques, s’embusque à l’affût de tout ce qui s’imprime et se réimprime. Il dresse le bilan de toutes les idées humaines ; il sait tous les détours des nécropoles silencieuses de la science et des lettres, et, cicérone intelligent, il indique à chacun la place où dorment les morts qu’il cherche, ce que ces morts ont laissé de leur passage dans ce monde, et les volumes qu’il faut fouiller.

Au XVIe siècle, quand on touchait aux origines de l’imprimerie, quand l’apparition d’un livre était encore un événement, la bibliographie était nécessairement fort restreinte, et tout se bornait à quelques catalogues qui ne donnaient que des titres ; mais, dans le siècle suivant, les progrès furent rapides. Les catalogues s’éclairèrent par la critique, se complétèrent par l’histoire littéraire et par la biographie. De nos jours, la science bibliographique, par l’accumulation même des livres, a pris une extension nouvelle. Elle a produit des travaux également utiles à ceux qui lisent, composent, achètent ou vendent des livres. Il suffit de nommer parmi les auteurs de ces travaux MM. Van Praët, Barbier, Renouard, Brunet, auteur du Manuel du libraire, vaste encyclopédie à laquelle l’Allemagne elle-même n’a rien à opposer ; Nodier, qui porta dans l’étude des livres la science de Bayle, l’esprit de Sterne et la mélancolie d’un poète ; M. Quérard, qui, après vingt ans d’un travail assidu, et par un véritable tour de force de patience, a dressé, sous le titre de la France littéraire, l’inventaire de tous les livres français publiés soit en France, soit à l’étranger, dans le cours du XVIIIe siècle et la première période du XIXe, inventaire que complète jusqu’à l’année 1845 le dictionnaire bibliographique intitulé ; la Littérature française contemporaine, dictionnaire qui renferme, outre les titres des livres français publiés depuis vingt ans, des notes critiques, historiques, littéraires et biographiques.

Pour quiconque veut embrasser d’un coup d’œil rapide et sûr le mouvement intellectuel d’une époque, un catalogue annoté comme l’ouvrage dont nous venons de parler sera toujours un guide utile, car les bibliographes donnent surtout des faits. Ils savent de quel côté se tourne la curiosité des esprits, la faveur du public, parce qu’ils ont compté pour chaque genre le nombre des volumes, pour chaque auteur le nombre des éditions. Ils savent les phrases que les changemens de règne ont fait disparaître, les dédicaces pour lesquelles on a fait des cartons, les comédies en cinq actes qu’on a réduites en vaudevilles ; enfin ils peuvent compter pour toutes les gloires la hausse et la baisse, car ils ont le tarif exact par le catalogue des ventes au rabais. L’histoire des livres, on l’a dit souvent, est aussi curieuse, aussi instructive que celle des hommes : c’est là qu’il faut chercher la vie morale d’un peuple, et cette remarque, banale à force d’être vraie, est surtout vraie pour notre époque, où tout individu qui pense ou qui croit penser s’empresse de prendre le public pour confident ; mais nous avons marché si vite dans les voies les plus diverses, les plus contraires même, que nous n’avons guère eu le temps de mesurer la route parcourue. Nous croyons donc qu’il n’est pas