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et il m’en coûte de rester sur une œuvre que j’ai dû condamner sans réserve. Les intérêts de la poésie dramatique sont si précieux, les efforts des poètes méritent tant d’estime et d’encouragemens, que mon plus sincère désir était de signaler les résultats de la renaissance qui s’accomplit en Allemagne ; mais c’est travailler aussi à cette régénération de la scène que de ne point épargner les avertissemens sévères de la critique aux écrivains qui sont dignes de les entendre. Il y a peu de temps encore, l’actif écrivain a fait jouer un drame, Uriel Acosta, qui, s’il faut en croire des juges habiles, est son véritable chef-d’œuvre. Revenu dans son pays, aux prises avec des mœurs qu’il connaît bien, l’ingénieux auteur de Patkoul a retrouvé, dit-on, et agrandi ses inspirations les plus heureuses. Le drame d’Uriel Acosta n’est pas encore publié, mais nous nous empressons de signaler ce succès, afin de ne pas quitter M. Gutzkow sur une impression trop peu favorable. Que résulte-t-il, d’ailleurs, de notre impartial examen ? Si nous avons dû blâmer avec franchise quelques-unes des productions du poète, refusons-nous de nous associer aux sympathies que lui témoigne aujourd’hui l’Allemagne ? Bien loin de là ; nous fondons sur son talent de sincères espérances. Sans croire avec le public allemand que M. Gutzkow ait déjà donné à son pays un grand écrivain dramatique, nous pensons qu’il possède tout ce qu’il faut pour se créer dans un genre spécial une vive originalité. M. Gutzkow ne se connaît pas, il se cherche, il hésite ; encore quelque temps, il trouvera sa voie et ne la quittera plus. Cette route heureuse où sa vocation l’appelle, il y est entré déjà à deux reprises différentes, et, s’il en est sorti presque aussitôt, ce n’est pas à l’indécision de sa pensée qu’il faut attribuer cette faute, c’est à la vigueur de son caractère et à son activité opiniâtre. Il a poursuivi obstinément des triomphes interdits à la nature de son imagination. C’est souvent un malheur d’avoir un de ces talens audacieux que la difficulté irrite et qui se révoltent contre eux-mêmes on aurait toutefois bien tort de s’en plaindre, car la volonté est certainement un des mérites les plus rares, et l’homme qui possède ces ressources fécondes peut obtenir un jour, après des erreurs passagères, de grands et durables triomphes. Le genre auquel M. Gutzkow devra ses meilleurs ouvrages, disons-le-lui encore, c’est la comédie historique et celle-là surtout qui se propose de mettre vivement en relief les intrigues secrètes de la diplomatie. Il a fait preuve d’une brillante aptitude pour ces sortes de sujets dans maintes scènes de Patkoul et surtout dans l’étincelante comédie la Queue et l’Épée. Pourtant, direz-vous, huit batailles et deux victoires, est-ce une campagne décisive ? Non, sans doute, mais ce n’est pas seulement ces deux victoires que je veux louer chez l’auteur de Patkoul ; dans chacune de ses œuvres, dans celles-là même qui appellent toutes les rigueurs de la critique,