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dépensés sans profit ont été perdus, hélas ! pour les œuvres distinguées qu’il nous devait. Je faisais cette réflexion en lisant les deux drames qui ont suivi Patkoul ; certes, il y a beaucoup d’habileté, beaucoup d’esprit, beaucoup de détails excellens dans l’École des riches et dans la pièce bizarre intitulée Une Feuille blanche, et cependant quelle faiblesse, si on juge l’ensemble ! quelle insuffisance ! combien ce sont là des œuvres incomplètes, des créations superficielles, et bien peu dignes de ce qu’il a entrevu dans les bonnes scènes de Patkoul !

L’École des riches est un long roman dialogué. Un riche marchand de Londres, Walther Thompson, perd en un jour son immense fortune, et ses fils, que l’opulence a abrutis, se réhabilitent dans la pauvreté. L’aîné des fils de Thompson, Harry, est la principale figure du drame. C’est un roué de bas étage dans les deux premiers actes ; insolence, dureté de cœur, lâcheté stupide, le poète a accumulé tous les vices sur cette tête maudite, avant de la faire plier sous la main de Dieu. Cette conception ne manque pas de vigueur, et, comme l’auteur a su éviter l’emphase, elle séduit par un caractère de franchise et de vérité. Nos don Juan, en effet, sont aujourd’hui des Harry Thompson, et c’est la banqueroute qui joue le rôle du commandeur. Quand cette froide main de pierre frappe le front de Harry, l’auteur obtient quelques beaux effets dramatiques. Le premier saisissement, le tremblement subit du coupable en face de la justice d’en haut est rendu avec une hardiesse qui mérite des éloges. C’est une scène originale et forte que celle où Harry, arrivant dans la maison paternelle, abandonnée déjà de la famille en pleurs, et repoussé par les constables qui viennent de sceller la porte, reste seul, la nuit, dans la rue sombre, pour recevoir les railleries de ses compagnons de débauche. Quelle est cette bière qui passe portée par deux hommes noirs ? C’est un enfant que le cheval de Harry a tué le matin même. Ce pauvre cercueil qui s’en va au cimetière sans escorte, Harry, le fier Harry, Harry, qui se glorifie de n’avoir pas de cœur, Harry l’accompagnera en sanglotant, et ce sera le commencement des réparations qu’il doit à la société. Par malheur, tout ce qui suit est très faible, et il s’en faut bien que l’auteur ait peint avec la même netteté la réhabilitation morale de Harry. Que le roué se fasse jardinier fleuriste, qu’il bêche des plates-bandes pendant deux actes en conversant avec Jenny et Nicolas sur la douce influence de la nature, je crois que cette idylle semblera singulière, et que la niaiserie n’est pas la grace. Un de nos écrivains, M. Jules Sandeau, a tiré de la même situation, dans Madeleine, des effets vraiment gracieux et d’une distinction parfaite. C’est que l’auteur de Madeleine avait choisi un sujet tout approprié à la poétique élégance, à la tendresse sympathique de son talent, et que M. Gutzkow, au contraire, a voulu contraindre son imagination à des travaux qui ne sauraient lui convenir.