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par son obstination invincible, est le plus en vue et mérite d’être cité avant tous les autres, c’est M. Charles Gutzkow.

M. Charles Gutzkow est un esprit vif ; une intelligence rapide, qu’une infatigable ardeur a poussé de mille côtés à la fois. Romancier, poète, critique, publiciste même, il a tenté toutes les voies les plus différentes, non pas toujours avec succès, mais avec une persévérance qui n’est pas un médiocre avantage dans la pratique des arts. Jeté dans la vie littéraire peu de temps après 1830, il s’est livré d’abord aux fantaisies confuses que cette période a fait naître dans les cerveaux fumeux de la jeunesse. C’est lui qui a été, avec M. Ludolph Wienbarg, le chef de la jeune Allemagne ; mais, au lieu de suivre la route sévère où était entré son ami, au lieu de chercher le rajeunissement des lettres allemandes dans un enthousiasme sérieux, dans la foi à certains principes bien établis, il a pris des métaphores pour des idées et de vagues sentimens pour des croyances. Il avait voulu emprunter à Byron son ironie hautaine, et rien n’était plus déplaisant que cette leçon si mal apprise ; le saint-simonisme ajouta à cette mélancolie superbe des inspirations très différentes, et Manfred, au lieu de converser avec les esprits immortels sur les cimes des glaciers, réhabilitait, comme on dit, la matière dans maintes productions épicuriennes. Tous ces mélanges, très bizarres déjà, étaient rendus plus singuliers encore par les prétentions politiques du romancier ; mais ne revenons pas sur des reproches un peu anciens. Alors même qu’il s’égarait de la sorte et s’attirait les réprimandes de la critique, M. Gutzkow faisait encore preuve d’un talent réel, et l’on pouvait espérer que cette activité opiniâtre, servant une intelligence plus mûre, porterait un jour ses fruits. M. Gutzkow a traversé enfin cette crise difficile, il a renoncé aux faux systèmes et pris rang parmi les artistes. C’est le théâtre surtout qui a provoqué cet esprit âpre, belliqueux, et que le danger appelle : rien de mieux ; il trouvera là d’utiles occasions pour ses énergiques facultés, et nous pourrons être aussi sympathique à ses efforts que nous avons dû être sévère pour ses anciens travaux.

Les premiers drames de M. Gutzkow portent encore l’empreinte des fausses idées auxquelles il avait donné sa jeunesse. Je ne parle pas de sa tragédie de Néron (1835), composition étrange, vraie débauche d’esprit, dans laquelle le poète a jeté toute l’amertume de son ame ulcérée, et où il défigure l’antiquité pour mieux injurier son temps. Je ne parle pas non plus du drame de Saül, écrit quatre années plus tard sous des préoccupations moins fâcheuses, et qui n’est guère plus qu’une brillante ébauche. M. Gutzkow a supprimé lui-même ces deux ouvrages. L’édition complète de ses compositions dramatiques, publiée par lui, embrasse les huit pièces qu’il a fait représenter depuis 1839 ; c’est là-dessus que nous devons le juger. Or, dans les premiers ouvrages qu’il a donnés au théâtre, le poète ne s’est pas encore débarrassé du lourd