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plan de réforme, par ce caractère audacieux qui marqua presque toutes ses propositions durant son dernier ministère. Il s’agissait, on peut le dire, d’une révolution complète dans le régime de la monnaie de papier. Le bill atteignait, outre le grand établissement existant à Londres avec des privilèges étendus et faisant les fonctions de banque du gouvernement, toutes les maisons qui émettaient des billets payables à vue au porteur : les banques de province (country banks), les banques par actions (joint-stock banks), et les simples banquiers (private bankers). On interdisait dès ce moment la création de nouvelles banques d’émission, et, tout en respectant les droits acquis, sous la réserve de certaines garanties, on se ménageait le bénéfice des chances d’extinction, et on préparait pour l’avenir la centralisation de la faculté de battre monnaie avec du papier dans les mains d’une banque unique. Était-ce là se mettre en contradiction, comme on l’a prétendu, avec le principe de la liberté de commerce si hardiment arboré par le même homme d’état ? Non, car le droit de fabriquer de la monnaie est une de ces prérogatives d’ordre public qui n’appartiennent qu’au pouvoir social, aussi bien quand il s’agit de monnaie de papier que de monnaie d’or ou d’argent.

La constitution de la banque d’Angleterre, en ce qui touche au rôle du papier dans la circulation, a été inspirée par les idées d’Adam Smith et de Ricardo, que M. Loyd, dans des écrits fort remarqués, avait proposé d’adapter au mécanisme de cet établissement colossal. Ces principes, qui ont le tort de plier, en tout temps, toutes les opérations sous un joug inflexible, partent de ce fait que la circulation en espèces et en billets exerce une influence directe sur le taux des prix et sur la situation commerciale, et, comme nous l’avons déjà dit, que par l’émission du papier on influe sur la quantité du numéraire. Le bill de 1844, qui soumettait à ces principes le régime des banques, si long-temps abandonné à un empirisme aveugle, marque, malgré ses imperfections, le début d’une ère remarquable dans l’histoire des institutions de crédit. Ce bill rompait ensuite avec les enseignemens des économistes quant aux moyens à prendre pour gouverner les rapports des billets et du numéraire, et dominer les variations dans la quantité de ces deux élémens de la vie industrielle et commerciale. On n’admettait pas que la convertibilité permanente des billets en or fût un rempart suffisant contre des émissions exagérées. On ne se crut protégé par une digue assez forte qu’en subordonnant la quantité des billets de la banque d’Anglerre au numéraire déposé dans ses caveaux, de telle sorte que chaque bank-note eût toujours sa représentation en espèces, au-delà d’une certaine somme représentée par des effets publics. Si cette disposition mettait à l’abri des entraînemens du passé, au milieu desquels on achetait le soulagement d’un seul jour au prix d’embarras formidables pour le lendemain, elle exposait, par sa généralité, à des inconvéniens gravés. On s’interdisait d’abord la faculté d’élargir la circulation, même si un événement imprévu l’ordonnait et si les circonstances le permettaient. Avec des billets correspondant toujours à la quantité de numéraire encaissé, on n’aurait plus de circulation de papier ; ce serait bien encore la circulation métallique sous une forme plus commode. Enfin on se condamnait d’avance, et pour tous les cas, quand le numéraire diminuant paraîtrait sortir du royaume, à la restriction des billets, c’est-à-dire à l’isolement