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M. Escosura, membre du cabinet Salamanca, a essayé de prouver qu’il y avait peu de générosité dans cette condamnation rétrospective, que c’était s’acharner sur des morts. Le fait est qu’en politique, et surtout dans un pays où le sol est chaud encore de toutes les révolutions qui l’ont embrasé, des morts de ce genre peuvent revivre ; il est sage de les stigmatiser d’avance : il est mieux encore de rendre leur retour impossible par un soin assidu à affermir le règne de la légalité. C’est aux cortès espagnoles à y songer maintenant, à se mettre à la hauteur de leur mission et à empêcher par leur attitude, par l’autorité de leur action, le renouvellement des scandales qu’elles se trouvent aujourd’hui appelées à qualifier. Il se pourrait bien, du reste, que, malgré la modération dont il a fait preuve, le congrès fût bientôt contraint à un jugement plus sévère. Il se fait en ce moment à Madrid une enquête sérieuse sur les opérations financières de M. Salamanca. Le gouvernement n’a mis aucun obstacle à ce qu’on puisât dans les pièces officielles, et c’est là un point qui a été expressément réservé dans les débats de l’adresse.

Le résultat de cette discussion est au fond très heureux pour le cabinet nouveau ; mais, il faut l’ajouter, ce n’est pas seulement par la signification politique de ses opinions que le ministère a mérité l’appui décidé des chambres, c’est aussi par la rare habileté avec laquelle le général Narvaez a marqué sa position et expliqué le sens de son avènement au pouvoir. Le duc de Valence est à peu près le seul ministre qui ait soutenu au congrès la discussion, et, ce qu’on n’imaginerait guère, il a révélé tout simplement un talent oratoire de premier ordre. Les orateurs habiles ne manquaient pas cependant. L’opposition avait pour elle l’éloquence passionnée de M. Olozaga, la logique ferme et vigoureuse de M. Cortina ; M. Escosura, qui, pour son début dans les cortès, avait à parler en accusé encore, plus qu’en homme de parti, ne s’est pas défendu sans éclat et sans talent. Néanmoins ce qui a surtout frappé, c’est l’habileté de parole du général Narvaez, qui jusqu’ici passait pour un militaire brutal et sans raison, dont on ne recherchait l’appui que pour ses qualités énergiques. Le duc de Valence, toutes les fois qu’il a eu à prendre la parole, s’est montré net, clair, plein de tact, spirituel même, comme le sont parfois tous les hommes qui ne cherchent les élémens de leur éloquence que dans les faits et les choses. Il y a quelques années, lorsque le général Narvaez présidait le cabinet où siégeaient des hommes tels que MM. Martinez de la Rosa, Mon, Pidal, quelques personnes clairvoyantes disaient déjà à Madrid qu’il était le plus parlementaire des ministres : il justifie aujourd’hui cette assertion, qui semblait alors ironique ; il la justifie surtout par l’intelligence politique dont il a donné d’incontestables preuves. Le duc de Valence a laissé voir un tel désir de se conformer strictement à la légalité, un tel esprit de conciliation sans rien abandonner d’ailleurs des principes conservateurs, qu’il a désarmé ses adversaires et singulièrement atténué d’avance l’effet des attaques du parti progressiste, qui s’est vu réduit à le louer de ses idées comme de son langage.

Ce n’est pas que nous ayons, quant à nous, une foi entière à ces réconciliations des partis auxquelles on semble beaucoup s’attacher en Espagne. C’est toujours l’histoire du baiser-Lamourette, et, quoi qu’on fasse, la scission ne tarde pas à éclater de nouveau ; elle est naturelle, elle est dans les conditions du système représentatif et, mieux encore, du caractère humain. Les partis ne s’abdiquent pas, lors même qu’en apparence ils ne trouvent rien à critiquer. Aussi