Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remède le plus assuré contre des révolutions nouvelles. Certes, on peut le dire, jamais situation ne fut plus compromise que celle de la Péninsule, il y a à peine quelques mois. Les chambres étaient muettes ; des ministères sans force, nés du hasard, composés sans choix et sans esprit politique, se succédaient au pouvoir ; toutes les imaginations se laissaient aller à la crainte ; la guerre civile renaissait sur tous les points du royaume ; les bandes carlistes qui sillonnaient la Catalogne prenaient les proportions d’une armée déjà menaçante pour les institutions constitutionnelles. Nous ne parlons pas de difficultés d’un autre genre sur lesquelles il est inutile de revenir. Partout, en un mot, était l’incertitude. Aujourd’hui, où sont les alarmes naguère si vives ? Nul ne croit possible le succès de nouvelles armées de la foi, pas plus que d’aucune autre conspiration. Toutes les passions qui fermentaient déjà et se préparaient à une lutte prochaine ne se sont-elles pas assoupies ? La présence seule du général Narvaez dans le cabinet nouveau mettait de son côté la force et l’énergie, ce qui est quelque chose partout, ce qui est beaucoup au-delà des Pyrénées, où les opinions sages ont besoin de se sentir protégées. Le ministère, dont la vigueur et la résolution contre toute tentative de désordre ne pouvaient être mises en doute, avait en même temps à montrer qu’il était le meilleur gouvernement pour la Péninsule par son équité, par sa tolérance, par son intelligence politique ; c’est ce qu’il vient de faire. Nous avons considéré, quant à nous, comme une bonne fortune pour le parti modéré espagnol d’avoir su inaugurer sa rentrée au pouvoir en signalant son esprit constitutionnel par la réouverture des chambres, fermées depuis huit mois. C’était un devoir autant qu’une convenance pour le cabinet nouveau d’appeler les chambres à liquider en quelque sorte le passé, à porter un jugement sur une situation qu’on avait créée sans leur participation, et à sanctionner par un vote, par une déclaration non équivoque de confiance, les changemens récens qui se sont opérés dans la politique espagnole. La discussion de l’adresse, qui a eu lieu dans le sénat et dans le congrès, ne saurait plus aujourd’hui laisser de doutes. Le résultat, si l’on veut, était prévu ; mais les détails, les circonstances des débats publics qui viennent de se clore à Madrid ne sont pas sans intérêt.

La discussion dont le congrès espagnol vient d’être le théâtre a vraiment offert un spectacle singulier et rare au-delà des Pyrénées. Deux mots reviennent sans cesse dans tous ces débats : la légalité et la conciliation ! et le gouvernement lui-même a été le premier à résumer ainsi son programme ; il a fait plus, il a donné des preuves que c’était là réellement l’esprit qui l’animait ; son attitude a été pleine de dignité et de force. Certes, il n’eût tenu qu’à lui de faire condamner sévèrement les administrations précédentes : il lui eût été facile peut-être d’obtenir quelque chose de plus qu’un blâme politique contre les ministères Pacheco-Salamanca et Goyena-Salamanca. Il n’est intervenu au contraire que pour faire adoucir les termes de la censure infligée par la commission de l’adresse à ces cabinets de triste mémoire. Par son exemple, il a arrêté les récriminations personnelles qui n’auraient pas manqué de se produire, pour maintenir le débat sur le fond même des choses. Il en est résulté une condamnation, d’autant plus énergique dans sa modération et sa netteté, des étranges façons de gouverner mises en usage par M. Salamanca. Il est ressorti de la discussion cette vérité, que des ministères aventureux, étourdis, sans caractère politique, ne peuvent se soustraire, même par la chute la plus méritée, à la responsabilité de leurs actes.