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président de la diète et au président du conseil de guerre du Sonderbund ; et sous ce rapport du moins, d’après les instructions de son gouvernement, M. Peel se trouvait dans le cas de prendre une situation parfaitement semblable à celle que l’opposition a si vivement reprochée à M. de Bois-le-Comte. Ces questions ont-elles donc disparu parce que Fribourg et Lucerne ont capitulé ? Le maintien de la souveraineté cantonale et l’indépendance des gouvernemens cantonaux sont-ils plus garantis en ce moment qu’ils ne l’étaient à la veille de la collision, et le régime de confiscation et de proscription qui pèse sur les vaincus a-t-il eu pour effet de supprimer tous les droits, et de délier les cinq puissances, l’Angleterre comprise, de l’engagement accepté par elle, le mois dernier, et déjà en cours d’exécution ? S’il n’y a plus lieu à une médiation entre des belligérans, n’y a-t-il plus d’intérêts à garantir, de droits à préserver, d’avertissemens à donner, de mesures à concerter pour assurer la sécurité de l’Europe et le maintien des engagemens réciproques consignés dans la déclaration du 20 mars 1815, qui a constitué la confédération helvétique sur la base d’une neutralité perpétuelle ? Quelle est la conscience honnête et l’esprit sensé qui oseraient soutenir que la souveraineté cantonale n’est pas aujourd’hui plus menacée qu’elle ne l’était il y a deux mois

Il faudrait désespérer du sens moral de l’Europe, et en particulier du sens politique du parti conservateur en France, si cela n’était parfaitement compris. Les cinq puissances n’ont plus sans doute à intervenir, pour séparer des combattans, puisque le sort des armes a prononcé, et cette partie de leur rôle est désormais terminée ; mais elles restent liées par les principes généraux consignés dans leurs notes identiques, et c’est en commun que devront se faire toutes les démarches et se concerter toutes les résolutions que la suite des événemens pourra rendre nécessaires.

S’il convient à l’Angleterre de rompre sur ce point l’accord spontanément accepté par elle, elle en est libre assurément ; mais la France ne saurait s’isoler avec lord Palmerston. Contrainte de veiller à sa propre sûreté, qui serait gravement compromise par certaines éventualités, obligée de plus, dans, l’intérêt même des principes de liberté modérée qu’elle représente, d’arrêter l’action isolée que deux grandes puissances allemandes pourraient vouloir exercer dans la confédération, il faut que sur ce point son œil soit toujours ouvert et sa main toujours présente. Ajoutons que, si l’esprit politique était plus développé parmi nous, on serait frappé de l’importance d’une situation qui, en faisant de la France la modératrice éclairée de l’Europe continentale, place l’Angleterre dans une situation analogue à celle où nous nous sommes trouvés nous-mêmes en 1840. Ce n’est pas seulement depuis 1830, c’est depuis 1815 que la France est arrêtée dans son essor, contrariée dans ses vues les plus légitimes par l’accord des quatre grandes cours signataires du traité de Vienne. Voici la première fois que cette barrière s’abaisse et que la situation diplomatique de l’Europe est sensiblement changée, voici la première fois que la France, intervenant entre l’absolutisme qu’elle arrête et le radicalisme qu’elle contient, joue dans les affaires du monde un rôle indépendant et pleinement conforme aux principes qui sont devenus la base de son organisation intérieure, et ce rôle serait abandonné, et cette donnée féconde ne serait pas poursuivie ! Nous ne saurions ni le croire ni l’appréhender. Nous sommes