Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les événemens qui ont troublé depuis quelques années le repos de ces populations ; mais, quelque intérêt qu’elle leur portât, quelque désir qu’elle entretint de prévenir une collision sanglante, elle a principalement envisagé, et elle continuera d’envisager jusqu’au bout le côté européen de la question, et c’est sur ce terrain commun qu’elle s’est efforcée de rallier l’opinion et les efforts des grandes cours. En prenant position dans cette affaire, elle a eu à combattre dès l’abord deux tendances contraires qui prévalaient dans les conseils des gouvernemens étrangers : à Vienne, on aspirait à une intervention militaire prompte et décisive, et l’on aurait été heureux de se venger sur les idées libérales en Suisse de l’attitude réservée et pénible que l’on est contraint de garder en Italie ; à Londres, où l’on n’est pas directement atteint par l’action radicale dont le centre est à Berne, on s’inquiétait peu des conséquences du mouvement helvétique, et, en présence d’un parlement nouveau où les idées réformistes ont conquis un ascendant qu’elles n’avaient point eu jusqu’ici, on répugnait souverainement à toute démarche collective qui pouvait avoir pour conséquence éventuelle l’emploi de la force et l’occupation armée d’un territoire étranger.

La France, que sa position met en contact avec la Suisse, ne pouvait voir se développer les événemens et s’exalter les passions révolutionnaires avec la parfaite indifférence qu’affectait le cabinet anglais ; mais elle pouvait moins encore livrer la Suisse à l’influence autrichienne et permettre, même en s’y associant pour la tempérer, une intervention qui aurait paru s’opérer au nom de l’absolutisme religieux ou politique. Empêcher l’Autriche d’agir militairement et provoquer l’Angleterre à un accord diplomatique, tel était donc le rôle que lui commandaient et le soin de ses propres intérêts et la dignité des principes qu’elle a l’honneur de représenter dans le monde. La France a réussi dans cette double tâche. D’une part, elle a arrêté l’action isolée de l’Autriche, et il sera facile au cabinet de constater que ce n’a pas été sans d’énergiques efforts ; d’une autre part, elle a contraint l’Angleterre d’adhérer à une action commune, malgré les vives répugnances de lord Palmerston, et l’on a entendu sa majesté britannique déclarer, en ouvrant le parlement, qu’elle était en communication avec ses alliés pour l’arrangement des affaires de Suisse.

Or, si nous sommes bien informés, cet arrangement portait sur une double base, et le contre-projet soumis à M. le duc de Broglie par le principal secrétaire d’état l’annonçait d’une manière formelle. Il s’agissait d’abord de prévenir ou d’arrêter la guerre civile par une médiation qui devait être acceptée des parties ; puis, cette œuvre d’humanité accomplie, il s’agissait de régler les questions depuis si long-temps pendantes en Suisse par un concert de mesures dont les événemens devaient déterminer le caractère, l’Angleterre excluant à l’avance toute pensée de coërcition matérielle, et les autres puissances se réservant sur ce point, comme sur tous les autres, leur liberté dans l’avenir.

Cet accord était évidemment dans son principe, aussi bien que dans ses conséquences, indépendant de l’issue de la lutte et des efforts tentés par les puissances pour arrêter l’effusion du sang, puisqu’il se rapportait à des difficultés existant avant la guerre civile et destinées à lui survivre. Ces questions, sur lesquelles lord Palmerston prescrivait à lord Normanby, le 18 novembre, de faire une communication à M. Guizot, étaient énumérées dans la note identique que le chargé d’affaires de la Grande-Bretagne à Berne avait ordre de présenter au