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régime de l’Angleterre !… » Et Dubois puisait ses argumens comme ses terreurs à la même source que les modernes défenseurs du despotisme monarchique, que les récens adversaires du droit des assemblées. C’est la partie la plus remarquable et à quelques égards la plus sagace et la plus pénétrante de son plaidoyer anti-constitutionnel. Il ne tarit pas sur ses inquiétudes. On croirait entendre un ultra-royaliste d’avant 1830, moins la circonstance atténuante du fanatisme politique et religieux. Quels moyens, demande-t-il au régent, quels moyens de s’opposer aux entreprises d’une assemblée nationale qui résisterait aux volontés royales ? Le monarque pourrait-il dire à la nation, comme au parlement : Vous n’êtes pas la nation ? Ces parlemens, on les exile ; on n’exile pas tout un peuple. Si l’assemblée refuse les impôts, que faire ? Le pouvoir reste désarmé, le gouvernement royal est sans force. Les troupes ? On se fait obéir avec elles d’un parlement factieux ; mais quelles troupes marcheront contre une nation légalement constituée ? Et s’il plaît à cette assemblée de détrôner le roi, qui l’en empêchera ? de le bannir, qui l’en empêchera ? de le tuer, comme les Anglais pour Charles 1er , qui l’en empêchera ? « Ah ! monseigneur, que votre bon esprit éloigne de la France le projet dangereux de faire des Français un peuple anglais ! » Cette crainte de la prérogative des assemblées, ce reproche d’imitation de l’Angleterre, ne sont-ce pas là les argumens de tous les ennemis actuels du gouvernement constitutionnel ? Ils sont tous, à ce double égard, qu’ils le sachent ou qu’ils l’ignorent, les continuateurs de Dubois.

A mesure que l’on avance, les attaques sont plus claires et plus explicites en même temps que les apologies plus vives et plus pratiques. Montesquieu vient de mettre la dernière main à l’Esprit des Lois ; Helvétius ne voit dans cette répartition des pouvoirs que subtilités logiques et qu’adoucissement impuissant au despotisme : mais un adversaire plus fort qu’Helvétius était né à Montesquieu et au gouvernement constitutionnel. A l’Esprit des Lois, monument d’un génie juste-milieu, s’oppose le Contrat social, monument d’un génie radical. L’Esprit des Lois et le Contrat social ! double terme d’une antithèse qui se prolonge et se prolongera à travers les temps pour le bien, et aussi, en certaines époques critiques, pour l’épreuve de l’humanité ; c’est le raisonnement pur, ne relevant que de lui-même et se jouant sans entraves dans le domaine des possibilités abstraites, mis en présence de l’expérience et de l’histoire ; c’est l’audace de l’esprit révolutionnaire armé d’une énergie inflexible et d’une logique de fer, en face de la hardiesse réservée, prudente et patiente, parfois à l’excès, de l’esprit pratique. Nos pères, ces hommes enthousiastes et sensés que le radicalisme historique de nos jours range beaucoup trop exclusivement sous les bannières de Voltaire et de Montesquieu, de Turgot ou de Jean-Jacques, quand eut sonné l’heure de la révolution, ne furent absolument pour aucun d’eux ; ils mêlèrent les dogmes de ces grands penseurs ; ils ne furent les disciples intolérans ni des uns ni des autres ; ils ne représentèrent que l’opinion, cette chose mélangée, complexe, inférieure aux hommes de génie en ce qu’elle reçoit d’eux ce qu’elle pense, supérieure à eux en ce qu’elle les embrasse tous et les concilie. Cependant, quoi qu’on puisse dire de l’étendue d’esprit de l’assemblée constituante, il faut reconnaître, en ce qui concerne le gouvernement représentatif, que cette assemblée, qui avait fait la révolution contre l’aristocratie, ne se crut pas encore assez forte pour placer entre elle et la couronne un pouvoir pondérateur et aristocratique, alors trop intéressé à