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derniers siècles, parmi les publicistes français, en face d’un parti qui appelle de ses vœux un pouvoir équilibré, où chaque élément politique trouve sa place sous le contrôle de la classe intermédiaire, d’autres esprits qui attaquent cette combinaison politique comme un excès de l’esprit révolutionnaire, ou comme une concession à la tyrannie. Ainsi, tandis que les écrivains protestans, François Hotman et Hubert Languet, partant du libre examen et les yeux fixés sur les progrès du tiers-état et sur la constitution anglaise, n’admettent le pouvoir monarchique que sous l’expresse condition qu’il soit surveillé et contenu par la bourgeoisie, et, traitant les masses avec assez de dédain, concluent pour la souveraineté des estats et des cameræ ordinariæ, tandis que les Discours politiques des diverses puissances proclament seule louable « la domination composée de royauté et des meilleurs et plus suffisans, et toute autre espèce de civile administration malheureuse et inutile à la constitution d’un état politique, » la réponse à ces témérités ne se fait pas attendre : elle raille ces rêveurs, ces esprits chimériques et désordonnés qui ont conçu le singulier dessein de « composer une république meslée des trois ! » Celui qui tient ce langage, c’est l’apologiste de la monarchie pure, l’adversaire déclaré de la constitution d’Angleterre, c’est Jean Bodin dans ses six livres de la République. On trouve là déjà marquées d’un trait ferme et ironique quelques-unes des prétendues antinomies relevées par la polémique royaliste ou républicaine entre les trois pouvoirs que le gouvernement constitutionnel se propose d’unir et de faire aller de concert.

Les critiques vont se formuler plus nettement. A peu de distance l’un de l’autre, un pieux archevêque de Louis XIV, un abbé libertin de la régence, expriment leur opinion au ’sujet du gouvernement représentatif. A peine Fénelon a-t-il écrit ses Mémoires sur la succession d’Espagne, sa Lettre à Louis XIV, ses notes sur un Plan de gouvernement pour le dauphin, où il réclame l’établissement d’états-généraux et l’élection libre, à peine a-t-il donné ses derniers avis et fait ses derniers adieux à l’antique monarchie, « cette vieille machine délabrée qui va encore de l’ancien branle qu’on lui a donné et qui achèvera de se briser au premier choc, » il meurt, et à Fénelon succède Dubois, comme le régent à Louis XIV. L’abbé Dubois eut hâte d’écrire aussi sa supplique, mais ce fut contre le gouvernement représentatif. Il ne fut ni moins attristé, ni moins inquiet, ni moins prophète : seulement, il ne s’apitoya que sur les abus, dont il prévit la ruine avec désespoir. Autant Fénelon avait mis de passion à appeler le remède, autant Dubois en mit à le combattre. Dubois haïssait d’instinct le régime constitutionnel ; il sentait qu’il s’y fût trouvé mal à l’aise, et il en parlait, non pas seulement avec ombrage, mais avec horreur. On peut en juger par ce passage de sa lettre au régent : « Ah ! monseigneur, ce n’est pas sans raison que les rois de France sont parvenus à éviter les assemblées connues sous le nom d’états-généraux ! L’idée qu’un roi tient de ses sujets tout ce qu’il est et tout ce qu’il posséde, l’appareil des députés du peuple, la permission de parler devant le roi et de lui présenter des cahiers de doléances, ont je ne sais quoi de triste qu’un grand prince doit toujours éloigner de sa présence… Quelle source de désespoir futur pour votre altesse royale, si elle changeait la forme du plus puissant royaume, si elle associait des sujets à la royauté, si elle établissait en France le